Argentière, envoyée spéciale.
Dans la vallée de Chamonix, les Charlet sont aussi nombreux que les sommets, une sorte de race de montagnards qui, d'une génération à l'autre, naîtraient piolet en main et crampons aux pieds, enfin pour les plus jeunes. Les ancêtres n'avaient que leurs godasses à clous pour apprivoiser la glace. En 1900, l'arrière-grand-père, Zian, est guide de haute montagne. Ses fils Georges et Armand réalisent, dans les années 20, des centaines de «premières» dans les massifs. Puis vient la génération de Jean-Paul, dans les années 40. Mort là-haut, bêtement, à 59 ans, en déclenchant une avalanche qui l'ensevelit.
Livres témoins. Dans la maison familiale, à Argentière, ces fantômes ont tous leur place. Sur les étagères, leurs livres de courses débordent d'ascensions mythiques, l'aiguille de Leschaux, le pilier Bonatti, la Walker. «Ils avaient la condition physique. Les horaires qu'ils ont inscrits, plus personne ne les tient», explique Jean-Franck, 47 ans, fils de Jean-Paul, dernier guide en vie de la famille. Des durs habitués aux travaux des champs à chaque redescente, jusqu'à ce qu'ils abandonnent terres et bétail: «Dans les années 60, trois montées au mont Blanc rapportaient autant que les vaches en une année. Alors...» Dans les cartons, les photos jaunies les montrent fiers comme des guides, les grands-pères, les pères, les fils réunis, uniquement des hommes. Les femmes vivaient dans l'ombre.
Sur les clichés, Jean-Franck n'est qu'un petit bonhomme. Aujourd'h