Istanbul envoyé spécial
«Un million cinquante... Un million cent cinquante...» «Je prends, j'ai la marchandise...» Agglutinés dans une venelle du Grand Bazar, le chant du muezzin perce à peine le vacarme de leurs cris. Au milieu de ce labyrinthe de ruelles, ils sont plus d'une centaine. Ce ne sont pas des bijoux précieux, des antiquités ottomanes qu'ils vendent et achètent à la criée mais des... dollars.
Mehmet est l'un de ces «traders de rue», mais aujourd'hui, ses deux téléphones portables sont éteints. Il se contente d'observer. Ses clients? Des banques en manque de devises fortes. «Depuis que la crise a éclaté, les banques ont du mal à trouver les devises auprès de la Banque centrale, explique-t-il. Alors elles se tournent vers ce marché. Ici, elles ont toutes leur représentant, ceux qui hurlent "j'ai besoin de tant de dollars..." Instantanément, on transmet la demande à nos employeurs, des propriétaires de bureaux de change. C'est eux qui ont les devises, des écrans Reuters et qui font la mise à prix du dollar. Ensuite, c'est la bataille.» Quelques secondes pour dénouer des transactions de plusieurs millions de dollars en pleine rue.
Eviter la faillite. Ces derniers temps, le marché monétaire à ciel ouvert est de moins en moins lucratif. Mehmet préfère se tenir à l'écart: «Le taux de change est trop instable.» Le vent a aussi tourné pour Yener, un petit patron qui se démène pour éviter la faillite. Dans son quartier de Besiktas, où domine le pont qui enjambe le Bosphore