C'est un petit bar du centre de Givet, et Ahmed (1), 29 ans, reçoit comme si c'était chez lui. «Ici, je connais tout le monde, pas de souci.» Il connaît la patronne cinquantenaire qui l'a hébergé sans rien lui demander pendant ses périodes de galère cette année. Il connaît les clients, tous plus vieux, attablés et qui boivent depuis ce matin. Il y a autour de lui une bienveillance alcoolisée. Il n'y a «pas de souci» ici, pour parler de lui, de sa cure de désintoxication à la méthadone. «J'en ai encore pour six mois, j'ai arrêté il y a un an, juste après la fermeture. (...) Par contre, maintenant...» Il sourit en levant le coude, pour dire: par contre, je picole un peu. Deux pastis, deux bières, pendant une heure d'entretien. Il a un peu grossi.
Lors du conflit, Ahmed, neuf ans d'usine, était un des «durs». Le soir, il s'éloignait parfois du cercle autour du feu pour aller griller un joint d'héroïne. C'est à cause de cela, de son casier judiciaire et des bagarres, qu'un consultant de la Sodie le considère comme un «incasable». Ahmed dit que la Sodie n'a rien fait pour lui. Il n'en attend rien, d'ailleurs, depuis un jour de l'année dernière où il a sorti la lame d'un cran d'arrêt devant un responsable du reclassement. Ahmed s'en sortira «tout seul». «Franchement, j'y crois. J'ai continué ma cure alors que je me suis séparé de ma copine cette année. Si j'avais dû replonger, ç'aurait été à ce moment-là.» Quand il évoque le passé, Ahmed remue des embryons morts-nés de vie différen