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Libération
Interview

Décoincer la tulle

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Nadège Taisne, 22 ans, est tulliste, métier réservé aux hommes. Elle a appris à manier des monstres de 12 tonnes.
publié le 18 février 2002 à 22h18

Dans le Nord, à Caudry ­ fief de la dentelle ­ les tullistes sont les héritiers d'une aristocratie ouvrière. A la fin du XIXe siècle, ils gagnaient «mieux leur vie qu'un instituteur». Aujourd'hui, chez Ledieu Beauvillain, une jeune femme de 22 ans s'est imposée dans une profession réservée aux hommes.

«J'aime le bruit. Le bruit assourdissant, si particulier, du métier de tulle que beaucoup trouvent pénible. Peu à peu, on apprend à exercer son oreille, à comprendre quand quelque chose ne tourne pas rond. Le "cri-cri" du grippage, qui veut dire qu'on doit remettre de l'huile. Le "doublage", quand le métier tourne au ralenti ou stoppe carrément. Un bon métier est un métier bien réglé. Tulliste, c'est un travail posté, intense. Il faut tout le temps veiller à la bonne exécution de la dentelle, refaire s'il le faut un fil avec le crochet, l'outil indispensable. Il y a aussi des positions à prendre pour ne pas s'abîmer le dos. Sur le pont, c'est comme ça que ça s'appelle, on piétine toute la journée. C'est de la mauvaise marche. On raconte que certains tullistes, une fois leur métier refermé, dormaient sur le pont. C'est comme une drogue.

Quand je suis arrivée ici, c'était la première fois qu'ils voyaient une femme tulliste. Des femmes, il y en a bien mais elles sont préparateurs-tullistes et effectuent des tâches en amont: remontage, écossage, extirpage, wappage ou en aval, elles écaillent, effilent, rebrodent. Le métier, c'est réservé aux hommes. L'industrie de la dentelle est un