Ils ont les mots les plus durs. «Ce qu'on se raconte entre nous, c'est combien il y avait de morceaux. Si le suicidé est écrasé, on dit : c'est du steak haché. Si c'est une jolie femme, on dit : dommage, elle aurait pu encore servir. On dédramatise», explique Michel, conducteur de métro à Paris. C'est ça ou «rien». «La plupart du temps, on fait silence radio. Black out total. Tabou», poursuit Michel. Dans sa carrière, un conducteur de la RATP (métro ou RER) risque d'être confronté à «au moins un suicide» d'usager. A la SNCF, la statistique est un peu plus faible : deux conducteurs sur trois devront faire face à un «accident de personne» dans l'exercice de leur métier. «Après, malheureusement, c'est la loi du hasard. Certains passent au travers, d'autres ont sept ou huit suicides», constate Luc Giraud, psychologue, responsable du pôle clinique à l'IAPR (1), cellule indépendante chargée du soutien psychologique des agents de la RATP.
Avec environ 140 suicides par an dans le métro et le RER, 400 sous les trains, «l'accident de personne» fait partie des «risques du métier». Un stress impossible à éluder. «J'ai toujours ça dans un coin de ma tête», dit Michel. «Quand je rentre en station, mon oeil droit se met à scruter le quai, ma main est prête à freiner. Je ne suis soulagé que quand j'ai passé la moitié de la station, les suicidés se mettent toujours à l'entrée.»
Témoin victime. Michel, 44 ans, n'a «vécu» le suicide qu'à travers le récit des autres conducteurs. Plusieurs fois, c