Psychiatre, psychanalyste, Christophe Dejours travaille particulièrement sur la souffrance mentale au travail (1). Directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l'action au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il estime que les suicides sur le lieu même de l'entreprise, même s'ils sont peu nombreux, traduisent une profonde dégradation des relations collectives.
Pourquoi les suicides choquent-ils tant les collègues de travail ?
Depuis quatre ou cinq ans, des suicides sont commis directement sur le lieu de travail. En l'absence de statistiques, j'estime qu'il y en a plusieurs dizaines chaque année, sans compter ceux qui restent cachés. En psychiatrie, toute conduite a un sens, même si elle paraît folle. Se suicider ainsi est un acte adressé à la communauté de travail. C'est une mise en cause du travail. Ce geste signifie que le tissu social de l'entreprise est profondément dégradé, que la solidarité ordinaire entre salariés ne marche plus. Les collègues se sentent coupables de n'avoir rien vu, de n'avoir rien fait. Le travail est un monde de domination et d'injustice, il est normal et même banal que les gens souffrent, aient des idées noires. Mais ce ne sont que des idées, ils ne passent pas à l'acte contre eux-mêmes ou contre l'autre comme vouloir casser la gueule du chef car le collectif de travail les en empêche. Quand une personne commence à montrer des signes d'irritabilité ou de dépression, les collègues ou la hiérarchie interv