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Libération

«Apte au cancer»

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publié le 28 avril 2003 à 23h02

Daniel, 46 ans, est médecin

du travail, spécialisé

dans le secteur du bâtiment.

«Pendant vingt ans, j'ai signé des permis de tuer. Médecin du travail, c'est une trentaine de consultations par jour, 20 minutes par personne, avec une seule question à se poser : apte ou pas apte. On est les seuls dans la société à avoir le droit de faire de la discrimination sur des critères de santé. Est-ce qu'untel va rester surendetté au chômage, ou est-ce qu'on va l'envoyer respirer des vapeurs toxiques ? A nous de trancher. La loi nous impose une logique complètement absurde. Pendant des années, ceux qu'on a déclarés aptes à inhaler des fibres d'amiante devaient avoir une très bonne respiration. Aujourd'hui, ceux qu'on envoie dans les ateliers à forte nuisance sonore doivent avoir une parfaite audition. Et pourquoi pas le contraire, quitte à raisonner de manière stupide ? Pourquoi pas envoyer les sourds, puisqu'ils sont déjà sourds ?

Je me souviens d'un homme, la quarantaine, chômeur de longue durée. Pendant vingt ans, il avait découpé des tôles ondulées qu'on met sur les hangars. Ces plaques sont bourrées d'a miante. Il les découpait avec une disqueuse, sans masque, dans de grandes gerbes de poussière. Pendant vingt ans, donc, il a respiré de l'amiante. Ensuite, chômage. Sa situation financière se dégrade de manière catastrophique. Il a deux enfants à nourrir. Après plusieurs années, on lui propose enfin un poste dans le bâtiment : surveiller une machine qui produit du bitume. C'est-à-dire êt