La voix est à peine audible, le débit épuisé: «On est prêt à tout balancer. Plus rien à perdre. On jette les produits dans la Moselle, et c'est la catastrophe écologique.» Denis Bordier est délégué syndical CGT à la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon-les-Vosges, (près d'Epinal), petite usine textile du groupe Thirion. Trente ans de boîte, de nombreux patrons, des plans sociaux, des effectifs réduits à «peau de chagrin» (82 salariés contre 1 500 en 1975).
Lundi, il a appris l'imminente liquidation de son entreprise. Des camions ont tenté d'emporter les stocks. Les salariés se sont interposés. «On a fait barrage avec les copains. Puis on a verrouillé l'usine, arrêté le boulot et préparé les produits au cas où...» De l'hydrosulfate de soude et du Proban (utilisé pour ignifuger les tissus), substances toxiques et corrosives. «Les bidons sont en place près du canal d'évacuation, prévient Denis Bordier. On est tellement à bout qu'on n'hésitera pas.» Pour désamorcer leur «arme chimique», les salariés réclament 2 000 euros de prime par année d'ancienneté dans le groupe Thirion (qui a repris l'usine il y a neuf ans) et des «mesures d'âge». «Les pouvoirs publics savent que dans deux ans, il n'y aura plus d'usine textile dans les Vosges. Le bassin d'emploi est saturé et ils ne font rien, accuse le syndicaliste. On est aussi sinistrés que les houillères. On mérite la préretraite à 50 ans.»
Depuis le début des années 90, l'ensemble du textile vosgien vit une lente descente aux enfers. E