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Libération
Critique

Portraits sensibles de camarades

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publié le 8 décembre 2003 à 2h14

«Elle m'a pas encore raté, la grosse.» La «grosse», c'est la femme du frêle Simon. Simon est ouvrier dans une usine d'acides de la région rouennaise, marié sur le tard, battu par sa femme. L'un des personnages de Classe fantôme, le très beau livre de chroniques «ouvrières» de Jean-Pierre Levaray. Mais «la grosse», ça pourrait tout aussi bien être l'usine, qui dégraisse d'un plan social à l'autre. «La grosse», ça pourrait être la précarité qui gonfle et se répand, machine à épuiser des intérimaires, dépeinte dans un autre livre témoignage, celui de Daniel Martinez, Carnets d'un intérimaire. Face à la violence du travail, les «prolos» dont nous parlent ces deux livres, qu'ils soient salariés restructurés, ou précaires sommés d'êtres flexibles, sont bien petits, bien démunis.

Tout petits, les ouvriers bientôt licenciés de Classe fantôme, débarqués en délégation au pied du très haut siège social de la Défense, sur «le parvis des courants d'air». Dans ce recueil de portraits de camarades, Jean-Pierre Levaray, qui travaille toujours comme ouvrier dans cette usine classée Seveso, enchaîne les récits des «jours de lutte» et les tableaux du quotidien. «Lorsque Momo est parti en retraite, il n'y a pas eu de grande fête, il n'y a pas eu de véritable pot de départ. D'une part, parce que c'était à l'occasion d'un énième plan social, d'autre part, parce que Momo ne buvant pas d'alcool, ça limitait le plaisir d'un pot de départ.» Pourtant, derrière l'humour et la tendresse, c'est toujours l