«J'ai passé des nuits entières à passer en revue la liste des gens. Je n'en dormais pas. C'était quelque chose de terrible.» Bruno D. est un «licencieur». Ancien directeur des ressources humaines (DRH) d'un grand groupe de distribution, il a mis en oeuvre plusieurs plans sociaux, de 1992 à 2002, en France et en Espagne. Son témoignage est retranscrit dans le livre d'Isabelle Pivert, Plan social (1). Un ouvrage uniquement constitué de deux entretiens avec Bruno D., 41 ans, puis avec Francis T., 51 ans, autre DRH , qui renverse intelligemment le point de vue. Non pour se morfondre à l'unisson des états d'âme des managers, mais pour éclairer d'un nouveau jour la machine froide qui mène aux licenciements collectifs habituellement observée du seul côté des «victimes». Bruno D. raconte sa «première expérience», lorsqu'il a annoncé à 75 personnes, convoquées une à une dans son bureau, leur licenciement. «J'ai vu quelqu'un qui s'est déshabillé pour me montrer ses cicatrices à la jambe et sur le torse. Cette personne s'est retrouvée en sous-vêtements dans mon bureau, et moi, je ne savais plus quoi faire. C'était déroutant. A ce moment-là, on mesure la détresse des gens, en se disant qu'il n'y a pas de limites, en arriver là. Ce n'était pas du cinéma. (...) Cela signifiait : (...) au moment où je perds mon emploi chez vous, l'état physique dans lequel je suis ne me permettra pas de trouver quelque chose...»
Avec la pratique, pourtant, l'émotion se tasse, et les scrupules s'émousse