Un fabricant de moutarde évoque l'«horreur absolue». Un groupe de produits laitiers parle de «cauchemar». Il existe aujourd'hui chez les entreprises françaises une pratique qui réussit le tour de force de faire hurler les PME, de choquer le gouvernement et même d'émouvoir le Medef. Ce grand méchant loup répond au nom d'«enchères inversées» ou dégressives sur l'Internet. Ou comment un acheteur transforme une négociation classique en un duel à mort entre fournisseurs.
Un hypermarché veut acheter du beurre pour le vendre sous sa marque. Il sélectionne quelques fournisseurs qui sont invités à venir se connecter un jour donné à telle heure, sur un site Internet accessible via un mot de passe. Chaque fournisseur ignore l'identité des autres compétiteurs. Pendant une période usuellement comprise entre 30 minutes et deux heures, les fournisseurs s'affrontent pour gagner le marché en baissant le prix. «Tu perds un marché en quelques minutes, c'est du poker», raconte le dirigeant d'une PME, quand le responsable d'une fédération professionnelle d'agroalimentaire, membre actif du lobbying antienchères, assure que le système conduit des entreprises à aller en deçà de leur prix de revient.
Sadisme. Car tout est fait pour emballer la machine : l'acheteur se permet de temps en temps un coup de fil durant l'enchère à un fournisseur qui flanche : «Faites un effort, on travaille depuis longtemps ensemble.» Le système s'agrémente parfois de fioritures sadiques : dans la version dite «tournant