C'est un homme qui a gravi tous les échelons de l'entreprise avec constance et régularité. Diplômé d'une grande école, Centrale Nantes, il a commencé comme ingénieur, puis est devenu directeur qualité, directeur technique, directeur général adjoint. Une carrière classique de cadre supérieur, une vie de gens aisés. Et, à 50 ans, tout s'est arrêté. Premier licenciement, premier chômage. C'est sa femme qui raconte. «Ce témoignage n'engage que moi, l'épouse, celle qui vit aux côtés du "licencié"», écrit Mariannick Téruin-Hauville. Professeure d'anglais dans une école du Morbihan, elle a publié ce qui était à l'origine un journal intime pour tenir. Itinéraire d'un cadre «jetable» (1) est le récit simple de la dégringolade sociale et morale d'une famille modèle, le père-la mère-quatre enfants. Elle raconte comment P. «tente de se vendre», comment la chambre à coucher devient «une annexe de l'ANPE». Comment elle n'ose plus parler de son travail, «fait de gros efforts pour garder le moral», comment la présence de son mari à la maison la perturbe. «Nous éprouvions de plus en plus de difficultés à ne pas nous gêner mutuellement.»
L'écriture du journal est le réceptacle d'une colère qui sort tout à trac. Contre la violence du chômage, la rudesse de l'entreprise et la stupidité d'un marché du travail qui met au rebut des quinquas, compétents et encore dynamiques. «Mon mec est génial, dit Mariannick Téruin-Hauville. Je suis très en colère contre cette société qui éjecte les cadres seniors