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Libération
Reportage

Ouvriers déboulonnés

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Reportage chez le géant de l'acier Arcelor, au sein d'un monde où le bleu de travail a disparu tout comme le mot ouvrier.
publié le 29 mai 2006 à 21h23

Le jeune contre-maître mesure 1,55 m. Il sourit patiemment quand son aîné s'agite en le montrant d'un revers de main : «Vous parlez d'un moustique ! Au paradis des fondeurs, ils vont lui dire : "Mais t'es qui toi ?" On n'aurait jamais vu un fondeur comme ça avant : c'est bien la preuve que le monde ouvrier a changé.» Charles Vincent est un ancien. «Sourd», apporte-t-il comme une preuve. Il est entré dans les hauts fourneaux de Dunkerque à 15 ans. Arcelor s'appelait alors Usinor. Charles Vincent a aujourd'hui 56 ans. Quand il parle des collègues qui bouchent et débouchent les hauts fourneaux de 30 mètres de haut ou surveillent la coulée de la fonte, il hésite à parler d'ouvriers. Plus les mêmes rapports de subordination : «Les jeunes n'accepteraient pas qu'on leur donne des ordres. Maintenant, il n'y a plus de chefs, il y a des managers.» Plus la même dureté : «Avant, si le gars n'était pas brûlé, c'était pas un vrai fondeur. Quand j'ai commencé, on ne se voyait pas à 10 mètres à cause de la poussière. Je n'ai aucune nostalgie de ce temps-là. Même moi, je mets des bouchons d'oreille maintenant.»

Dans la salle de contrôle du haut fourneau 4, deux techniciens en blouse claire fixent des écrans. «Il y a vingt ans, c'est le type qui réglait les débits de vent et gérait l'enfournement des matières. Aujourd'hui, tout est automatique, c'est une histoire de surveillance, d'affinement des réglages», explique Jean-Claude, derrière son pupitre