Pierre arrive, souriant. Il devait rendre un livre la veille au soir. «Je n'ai pas fini...», précise-t-il. Pierre est auteur. A son actif, trois livres qui mêlent science et littérature, se déclinent en CD-rom, expositions, festivals. Il a accepté de témoigner sur sa vie, anonymement. L'industrie culturelle française tolère mal les indiscrétions et quelques phrases peuvent vous griller auprès des éditeurs. Il n'a rien à en dire de mal pourtant. Il se contente de décrire une situation que vivent ceux qu'Anne et Marine Rambach avaient, dans une enquête restée fameuse, nommés les «intellos précaires» (1). Une population hétéroclite où l'on retrouve des chercheurs, des enseignants, des artistes, des écrivains. Tous ont en commun quatre choses : ils sont surqualifiés, ils bossent dur, souvent avec bonheur, et, pour beaucoup, ils sont pauvres.
En clair, des RMistes hypertrophiés du neurone, contraints de cumuler les boulots. Pierre déroule son parcours : il loupe l'agrégation de lettres, se fait libraire. «Dans le même temps, j'ai publié des inédits de Melville, écrit dans une bonne revue. Puis, une amie m'a aidé à trouver un boulot dans une agence de communication. Parallèlement, j'ai repris mes études, je m'intéressais à l'histoire de la personne, à la religion dans l'Antiquité. Mais, au bout de deux ans, l'agence s'est avisée de la teneur de mes recherches. Ils n'ont pas aimé, j'ai été viré. Je suis alors entré comme vacataire à la Bibliothèque nationale. Mon travail n'était pas