Alexandre Delaigue est professeur d'économie au Conservatoire national des arts et métiers, et coauteur de Sexe, drogue et économie (éditions Pearson).
Que signifie la décision de la Réserve fédérale américaine de ramener son taux directeur proche de 0 % et rendre l’argent gratuit ?
Que la récession est bien plus grave et plus virulente que prévue. Le patron de la Fed, Ben Bernanke, est bien placé pour savoir l’importance d’une telle décision puisqu’il est un des spécialistes mondiaux de la crise de 1929. Mais il sait qu’il vaut mieux éviter ce scénario dans lequel l’instrument normal de la politique monétaire - la baisse des taux d’intérêts - ne peut plus fonctionner : ceux-ci ne peuvent pas descendre en dessous de zéro !
La marge de manœuvre est donc réduite à néant ?
Pour reprendre une expression des Tontons flingueurs : «Quand le tout-venant est épuisé, il faut passer au bizarre.» Et le bizarre, l'univers des taux d'intérêts à zéro, que Paul Krugman [Nobel d'économie 2008, ndlr] a appelé la«politique de la dépression»,c'est de tout faire pour éviter la «nipponisation» des Etats-Unis : se trouver dans une décennie de croissance zéro, de chômage élevé et d'inflation négative - la déflation. Le Japon a mis dix ans à tenter de stimuler une activité en bâtissant des ponts inutiles et en rachetant les actifs douteux de banques en faillites.
Sur son blog, Krugman n’a pas l’air optimiste : il dit que l’Amérique est devenue japonaise.
Oui, il a aussi donné à l'époque, avec Bernanke, les clés pour tenter d'éviter un scénario à la japonaise : les anticipations inflationnistes. Tout faire pour que l'opinion publique soit persuadée qu'il va y avoir de l'inflation. Avec l'inflation, les prix et les salaires aug