Christophe Dejours, titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail aux Arts et métiers à Paris, est l'auteur de Travail vivant (Payot).
«Pour le clinicien du travail, la crise était attendue. Pourquoi ? Parce que le tournant gestionnaire amorcé dans les années 80 s’est traduit par une perte du rapport à la réalité. Osons le dire : les bilans d’entreprise à partir desquels se déploie la spéculation boursière sont de plus en plus faux. Parce que le tournant gestionnaire, c’est la passion débridée de l’évaluation. On n’étudie plus le travail réel, on prétend pouvoir le mesurer quantitativement et objectivement grâce à la divine et scientifique "évaluation individualisée des performances". Or, c’est impossible. Il n’y a pas de proportionnalité entre travail et résultat du travail. Avec l’évaluation individuelle des performances et les contrats d’objectifs, les gestionnaires ont aussi introduit la "qualité totale", avec des critères ISO 9000, 13 000, 13 001, etc., qui ne sont en fait que des labels de certification pour la mise sur le marché. Mais la qualité totale n’existe pas, pas plus que le risque zéro : le travail réel ne peut jamais être conforme au travail prescrit, parce que surviennent toujours des incidents, des imprévus. C’est pourquoi on aura toujours besoin du travail vivant pour surmonter ce qui dysfonctionne. Les bulletins de communication, les rapports d’activité cumulent les mensonges et, à la fin,