L'histoire aurait pu s'intituler «Chronique d'une mort annoncée». Car ici, à Boulogne-Billancourt, tout le monde s'attendait à la fermeture. Elle était partout. Dans les bâtiments qui se vidaient peu à peu. Dans les vestiaires où l'on déménageait des casiers. Dans les cafés de moins en moins fréquentés. Azedine dit qu'on vivait à l'usine comme dans une immense salle d'attente de gare. Mais sans date, sans horaires auxquels se raccrocher. «Au moins maintenant, on sait.»
Azedine est comme les 9 000 autres salariés de Billancourt, il préfère voir l’horizon. Même si cet horizon effraie la grande majorité des 4 000 ouvriers de l’île Seguin. Presque tous travailleurs immigrés. Presque tous sans qualification. Presque tous trop jeunes pour partir en retraite, trop vieux pour espérer une formation reclassement et sans grandes illusions sur la solidarité dont peuvent témoigner les Français à leur égard.
Symptomatique de cette usine qui va mourir, la «reconversion» du département 14 : un gigantesque trou que des grues s'efforcent peu à peu de combler. «Autrefois, on y fabriquait des moteurs.» Sur un gigantesque panneau promotionnel, le tableau idyllique de ce nouveau Billancourt : un parc aéré, fleuri, verdoyant, une résidence pour troisième âge. Azedine le décrit : «Tu vois, il n'y a pas d'ouvriers. Il y a une bagnole de luxe. Une décapotable. Même pas une Renault !»
Et pourtant, de l'autre côté de la rue, le cœur de la forteresse ouvrière n'a pas encore cessé