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Libération

Le piège des hedge funds

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Opaques et spéculatifs par nature, ces fonds agissent sans aucun contrôle.
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant et Vittorio De Filippis
publié le 5 mars 2010 à 0h00

Accusés de spéculer à tout va, il n’est plus une crise financière sans qu’ils soient montrés du doigt. Eux ? Ce sont les hedge funds. Inutile de chercher la moindre publicité. Ils n’en font pas. Pour les débusquer en Europe, mieux vaut se promener du côté de Mayfair, à l’est de Londres. Tout au plus une plaque de laiton avec en lettres noires le nom du fond spéculatif. Les bureaux ? Chics, mais pas démesurés. Car finalement, les effectifs dépassent rarement quelques dizaines de personnes : d’anciens traders ou gestionnaires qui se sont fait un nom dans les grandes banques de placement. Mais il y a surtout New York, ou plutôt ses banlieues chic, notamment Greenwich, dans le Connecticut. Là, le nombre des hedge funds est deux fois supérieur à celui de Mayfair, soit près de 4 000.

Comment fonctionne un hedge fund ?

En toute liberté, et sans la moindre contrainte réglementaire. C’est d’ailleurs toute la différence avec le reste des autres institutions financières. Sur les quelque 10 000 fonds spéculatifs recensés à travers le monde, la plupart ont souvent une domiciliation physique et légale distincte. Les gestionnaires se trouvent à Mayfair ou Greenwich. Mais il faudra se tourner vers les îles Caïmans, par exemple, pour y débusquer une seconde domiciliation, celle où est enregistré leur capital (avantage fiscal oblige). Un capital constitué auprès de personnes ayant de grosses fortunes. La plupart des fonds exigent souvent un ticket d’entrée d’au moins un million de dollars. Une bagatelle, comparé à ce qu’ils peuvent ramasser… Opaque au maximum, on estime le capital de ces fonds à 2 200 milliards d’euros au total. Une somme «ridicule». Mais voilà, les fonds usent et abusent d’un outil redoutable : l’effet de levier. «Ils empruntent pour jouer sur les marchés, mais dans des proportions bien plus élevées que leur capital, explique Dominique Plihon, professeur d’économie à Paris-XIII. Ils peuvent mobiliser dix fois leur capital.» Des sommes qui seront employées à des ventes à découvert de devises. «La vente à découvert est l’une de leurs techniques préférées, ajoute Esther Jeffers, professeure à Paris-VIII. Dans ce cas, le fonds s’engage à vendre à terme un titre qu’il ne possède pas en espérant le racheter à un cours moins élevé. La différence entre cours de vente et d’achat correspond à la plus-value. Mais si leur calcul est mauvais, ils peuvent boire le bouillon pour la totalité de leur mise. En 1998, la faillite du fond LTCM a failli emporter le système financier américain.»
Faut-il avoir peur des hedge funds ?
Relativement peu nocifs jusqu’en 2000, les hedge funds sont devenus les icônes de la nouvelle culture financière depuis. «Après l’éclatement de la bulle Internet, les investisseurs se sont précipités sur ces fonds, dont les performances étaient bien supérieures aux placements classiques, précise le spécialiste Michel Aglietta (1). Depuis, ils captent de plus en plus d’épargne publique. Ce qui pose problème, c’est leur relation aux banques, via l’endettement que ces fonds contractent auprès d’elles.» En clair, le moindre pépin peu dégénérer en crise systémique au point de contaminer l’ensemble du système bancaire. Car de plus en plus d’institutions financières (fonds souverain, fonds de pension ou banques…) leur confient une partie de leur argent. La règle est simple : certains hedge funds promettent en retour un taux de rentabilité qui peut atteindre les 20 %, en échange d’une confiance aveugle. Le risque d’explosion est d’autant plus grand que ces fonds ont de plus en plus tendance à agir au même endroit et simultanément, alimentant les mouvements moutonniers.
Que prépare l’Union européenne ?

En avril 2009, la Commission européenne a proposé une directive qui couvre les hedge funds, les fonds immobiliers et le capital d’investissement. Mais, l’exécutif européen, surtout soucieux de ne pas décourager l’activité de ces fonds qu’elle considère comme globalement positif pour l’économie, a proposé un encadrement a minima qui a satisfait Londres, mais déplu à Berlin et Paris. C’était compter sans le Parlement européen, pour qui la proposition de directive n’allait pas assez loin : sa commission des affaires économiques et monétaires s’apprête donc à durcir un texte qui devrait être voté en session plénière en avril afin de pouvoir être adopté en