Professeur de sociologie à l'université de Strasbourg, Gérald Bronner travaille sur les croyances collectives et les conséquences sociales des erreurs de raisonnement. Il vient de copublier l'Inquiétant principe de précaution (PUF).
Le lock-out aérien est-il une nouvelle illustration de ce que vous appelez «la tyrannie du principe de précaution» ?
Oui, le précautionnisme gagne du terrain. Il faut bien sûr encadrer par des normes nos actions dans un monde qui peut s’autodétruire technologiquement. Mais on va beaucoup trop loin : cela tient du réflexe social. C’est la panique liée à la grippe A, le démontage de lignes à haute tension ou des antennes relais, la phobie des OGM. Aujourd’hui, c’est un nuage. Demain, les nanotechnologies…
Que raconte, selon vous, cette tendance ?
Elle traduit la rencontre d’un invariant mental et d’une variable sociale. Le premier relève du fonctionnement de notre esprit face au risque. L’homme, les études psycho-cognitives le prouvent, surestime toujours par dix ou quinze les faibles probabilités. Le second, plus profond, traduit l’émergence, dans les années 70, et le développement, dans les années 90 et 2000, d’une idéologie qui condamne le mode de vie occidental, l’action de l’homme sur la nature et les projets des sociétés progressistes fondées sur le progrès et l’innovation technologique. Le tout forme un cocktail détonnant qui est en train d’exploser.
Mais évaluer la mesure du risque et assumer politiquement de ne pas le prendre traduit aussi une avancée démocratique ?
C’est vrai pour l’amiante, par exemple. Mais la démocratie n’est pas le démocratisme. Ni ces comités de citoyens «bien informés» d’où sortirait une sagesse. On le voit dans le débat sur les lignes à haute tension : c’est toujours «pas dans mon a