Il est un mot qu’on devrait bannir du débat sur la retraite à 60 ans : le mot «tabou». Il a pour but de présenter ceux qui défendent le progrès social comme une tribu primitive s’agitant autour d’une idole archaïque. «Les 60 ans», comme l’on dit, sont nés d’une longue évolution. Certes les données démographiques en modifient le contexte et la réforme du système est à coup sûr nécessaire. Mais si l’on touche à l’âge légal, ce qui semble décidé, on aura fait tourner à l’envers la roue du progrès social.
La retraite est une espérance plus que millénaire : l'Eglise a estimé dès l'origine qu'on ne pouvait, sauf à violer les principes de charité, condamner la grande majorité des hommes à une servitude sans fin et rejeter ensuite les vieillards incapables dans la misère. Au XVIIe siècle, le pouvoir royal a pris le relais. Colbert instaura une retraite autour de 60 ans pour les marins dont il avait besoin pour reconstituer la flotte de Louis XIV. La Révolution donna une résonance universelle à ces dispositions, rompant avec une sujétion immémoriale. Dans l'article 26 de la Déclaration des Droits de l'Homme, elle proclama que les «secours publics sont un devoir sacré», et que ce devoir s'étendait à tous les indigents, au premier rang desquels, bien sûr, les vieillards sans ressources.
Le mouvement socialiste acheva le raisonnement, qui vaut encore aujourd’hui. A l’inverse de l’ancestrale malédiction, on décidait que les hommes, désormais, auraient droit à une troisième vie :