La porte sud de l’usine Foxconn est gardée comme une caserne. Portail électronique, fouille obligatoire. Les sentinelles manifestent une allergie particulière à l’endroit des journalistes qui viennent enquêter sur les onze suicides survenus depuis le début de l’année au sein de cet atelier du monde, de taille démesurée. Plus de 300 000 ouvriers y fabriquent à la chaîne l’iPhone d’Apple (1), les téléphones portables Nokia, les consoles de jeu de Sony et les ordinateurs de Dell et Hewlett-Packard.
L'usine de Shenzhen n'est pourtant qu'une miette de l'empire de la sous-traitance électronique du Taïwanais Terry Gou. Plus de 800 000 ouvriers travaillent dans la douzaine d'usines Foxconn de Chine. Son «modèle», révélait Terry Gou en 2007 dans l'une de ses rares interviews, est le conquérant mongol du XIIIe siècle Gengis Khan. «Il ne faut pas craindre d'être un dictateur quand c'est pour le bien de tous», lit-on dans un manuel destiné à ses contremaîtres. Sur les murs de l'entreprise, il a fait inscrire «Le démon est dans le détail», une devise censée inciter à la minutie les ouvriers qui travaillent à la chaîne, où le même geste est répété en moyenne toutes les sept secondes.
La plupart des employés qui ont mis fin à leurs jours à l'usine Foxconn de Shenzhen, située à la frontière de Hongkong, ont plongé du haut des dortoirs modernes où ils vivent entassés à dix par chambrée. Quatre filles et six garçons, âgés de 19 à 24 ans. Même les ingénieurs