C’est une ville dans la ville. Le poumon de la Somme. La zone industrielle nord d’Amiens, 10 000 salariés, des rues entières bordées de PME et quelques poids lourds de l’industrie (Goodyear, Procter & Gamble, Valeo, Dunlop…). Perturbée pendant deux semaines, bloquée deux jours la semaine dernière, avec des salariés se garant sur la rocade et se rendant au boulot à pied à travers champs.
On frappe aux portes. L'envie de parler est forte, très forte. Parfois, on sert même le café. Mais à une condition, que l'anonymat soit respecté. Voilà donc un cadre d'une société de fourniture industrielle, ex-entreprise familiale rachetée par un fonds de pension d'un des pays du Golfe : «On a beaucoup parlé du blocage au bureau, c'est pas normal de laisser des mecs [les syndicalistes qui ont bloqué la zone, ndlr] tout cramer alors que le jeune d'Amiens nord qui brûle une poubelle va en taule.» Mais il est déchiré : «En même temps, je comprends ces mecs qui ont envie de tout casser, c'est bien d'avoir des convictions. Moi je n'en ai pas, je suis neutre, je m'adapte, alors je les envie.» L'homme est même tourmenté : «Quand j'étais gamin, je trouvais super cruel, dans les films sur le Moyen Age, l'image des pauvres, entourés de rats, qui mendiaient au pied des carrosses. Eh bien le décor et les tenues ont changé, mais j'ai l'impression que c'est pareil aujourd'hui.» La politique, bien sûr, surgit : «Le Pen majoritaire aux régionales dans mon village, 140