Ça fait quelque temps que Philippe Wullens, «Pee Wee, à cause des initiales», trapu à moustache, délégué SUD à la raffinerie Total de Dunkerque, a du mal à se changer les idées. Le récent conflit sur les retraites, où Dunkerque a tenu toute sa place, s'enlise et, surtout, sa raffinerie ne raffine plus. Plus d'un an de bagarre, des mois de grève, manifs, coups de matraque, recours. Il marmonne, avec l'accent local qui fait traîner les «a» : «Elle redémarrera plus.» Il n'est pas viré, la direction a promis de reclasser tout le monde, à l'exception notable des 600 sous-traitants lâchés. Mais il ne sera plus raffineur.
Il était «posté», c'est-à-dire en 3 X 8, dans une usine de 367 salariés qui ne s'arrêtait jamais, week-end ou fériés. Derrière une console aux commandes des vannes, il préparait les mélanges, chimie subtile pour fabriquer l'essence et le gazole. Capable aussi de «prendre un camion pour aller au feu» en cas d'incendie, il est l'un des neuf pompiers pros de l'usine, classée «Seveso seuil haut». «On sait faire un massage cardiaque.» Lui a son certif et son BEPC, il s'est formé à l'usine. Ses jeunes collègues, en bleu et casqués comme lui, ont tous bac + 2. «Ouvrier», il aime toujours le mot. «Un opérateur, même avec un talkie-walkie, ça reste un ouvrier.» Son père était docker, puis traceur sur les chantiers navals. «Il portait la toile bleue, je porte la toile bleue.» Ses enfants, coiffeuse, livr