Le philosophe et historien des sciences Michel Serres avait accordé le mois dernier à Libération une longue interview dans laquelle il évoquait cette «génération mutante» (écoliers, étudiants…) qu'il a baptisée «Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce», et pour laquelle il réclame compréhension et «indulgence». Nous l'avons contacté hier à San Francisco (Californie), où il vit une partie de l'année (il enseigne à l'université de Stanford) pour avoir sa réaction à chaud sur la disparition de Steve Jobs. A plus de 80 ans, il n'hésite pas à clamer que, si l'on dédaigne les outils inventés par la génération Jobs, «on est en dehors du coup».
Steve Jobs, de San Francisco, ça vous évoque quoi ?
C’était l’icône de la vallée. Il a fait partie de ce mouvement qui a lancé l’informatique et bouleversé beaucoup de conduites et de comportements. Un mouvement que je compare à l’invention de l’imprimerie. Il avait un caractère exécrable, mais il était très exigeant. Il avait surtout à mes yeux deux qualités : un vrai sens pratique et le goût de l’esthétique. Il y a des gens qui sont davantage Apple que PC. Moi, j’en fais partie. Parce que c’est pratique et élégant.
En quoi ces outils ont-ils révolutionné notre société ?
Ils ont notamment modifié nos capacités cognitives. Autrefois, on était obligé d’avoir de la mémoire, il n’y avait pas le choix. Puis on a perdu de la mémoire au fur et à mesure qu’on s’est adonné à l’écriture. Après, on a eu des livres dans la bibliothèque, et maintenant cette mémoire est dans l’ordinateur. Min