Au coin du port de Calais, les géants se tiennent immobiles. Les quatre ferries SeaFrance ne crachent plus de panache blanc par leurs cheminées massives depuis novembre. «Ils ne sont pas faits pour ça», s'attriste Françoise Monfregola, 41 ans, encore salariée pour quelques jours de la compagnie maritime. Ils reliaient le continent à Douvres, mais la direction, apeurée par les menaces syndicales de les couler, préfère les garder au port. Et puis tout cela n'a plus d'importance. SeaFrance, exsangue, après deux plans sociaux, 190 millions de dettes, vient d'être liquidée. Plus de mille employés, 880 à Calais, 127 en Angleterre, au tapis.
Françoise Monfregola se tient droite dans son canapé rouge, elle fixe la télévision grand écran qui vient de lui apprendre la nouvelle. Elle ne cille pas. Dans deux semaines, elle s’y prépare, il y aura une lettre recommandée qui arrivera chez elle. Licenciée. Après vingt ans de boîte, après trois ans de rumeurs, de grèves, de serrages de ceinture, de restrictions des effectifs.
Son ras-le-bol a explosé à Noël. La CFDT, le syndicat majoritaire, avait traité par le mépris une offre de reprise alléchante de la compagnie maritime danoise DFDS : 600 emplois sauvegardés, cinq ans de pavillon français garantis. «Les syndicalistes ont ignoré une offre qui aurait pu sauver une partie d'entre nous. Ce n'était juste pas possible.» Celle qui dit avoir «le cœur à gauche» veut bien comprendre les arguments des cédétistes durs, qui d