La crise, mais comment la raconter, comment incarner de façon charnelle ces existences qu'elle rudoie, ces destins qu'elle chavire, ces combats et cette énergie qu'elle provoque, ce qu'elle invente aussi ? Par un étrange paradoxe, cette crise est partout et nulle part. Elle jaillit dans la rue, elle irrigue les récits journalistiques mais elle n'a pas encore conquis notre imaginaire. Pourquoi ? «Parce qu'elle n'a pas été saisie à bras-le-corps par les artistes et ne fait pas l'objet de représentations emblématiques», affirme Alice Béjà dans le texte d'ouverture d'un dossier lumineux que la revue Esprit consacre à ce dilemme. Nulle figure ne s'est imposée pour lui donner un visage, «le trader ou l'ouvrier licencié pour cause de délocalisation, l'indigné sous sa tente avec son masque blanc des Anonymes ou le politique contraint à la démission par les marchés» ?
Auteure d'une thèse sur le rapport entre fiction et politique aux Etats-Unis dans l'entre-deux-guerres, Alice Béjà rappelle que les crises sont culturelles avant d'être financières, et que la culture peut être une partie de leur solution. Le président Hoover (1928-1832) s'était acharné à nier et cacher la Grande Dépression qui ravageait l'Amérique. Son obsession fut de «la maintenir dans l'invisibilité» pour éviter que «le pays tout entier ne s'en mêle».
Son successeur fit tout l’inverse, il va montrer la crise et stimuler par tous les moyens une extraordinaire floraison cultur