Un ancien ministre des Finances de gauche - qui connut par la suite de multiples déboires - avait évoqué un jour, très sérieusement, devant les hauts cadres de Bercy, le risque d'«un effondrement de l'Etat». «Voir disparaître petit à petit cette capacité de l'Etat à être efficace serait, j'en suis sûr, pour nous tous, avait confié d'un ton grave le ministre, une manière de nous effondrer en nous-mêmes.» C'était il y a près de quinze ans. Le risque s'est depuis fâcheusement aggravé. Partout dans le monde, sous des formes diverses, la stratégie, l'organisation et la gestion de l'Etat régalien et de l'Etat-providence ont été adaptées au cours des deux dernières décennies. En France, cette refondation tient de la réforme impossible, sinon impensable. Pour une raison historique majeure : toucher à l'Etat, c'est toucher à la représentation que les Français ont d'eux-mêmes. Pour la gauche, qui ambitionne de changer la réalité, l'affaire est plus sérieuse encore. Bien plus que la droite, elle a vécu douloureusement l'érosion et la mise en concurrence de la puissance publique, prise dans les rets de la mondialisation. La violence de la crise a redonné une nouvelle légitimité à la politique et à l'intervention de l'Etat. Mais pour peser, pour pouvoir imposer de nouvelles régulations, pour construire de nouveaux rapports de force, l'Etat doit être agile, recentré sur ses missions et délesté d'une grande partie de ses dettes et de ses déficits. Les dix tabous