Dire qu’on croyait révolu le temps de l’artisanat. Celui du passeur professionnel de billets, de lingots ou de pièces d’or, rémunéré à la commission (10%, nets d’impôts), se bâtissant une petite fortune grâce à quelques passages annuels de la frontière helvète. Folklore révolu et désuet que tout cela, pensait-on, à l’époque des compagnies financières multinationales, des jeux d’écriture et de l’ordinateur réunis, où les douaniers tiennent plus du comptable averti que du gabelou de papa. Il faudra revenir sur cette idée que l’on croyait moderne, et qui n’était que reçue. L’artisanat a encore en la matière de beaux jours devant lui.
La frontière suisse n'existe pas. Libération l'a rencontrée. Ou plutôt, cette frontière tient, au choix, de la passoire à gros trou ou de la tranche fine d'emmental. En deux jours, trois passeurs spéciaux de Libération, accompagnés d'un photographe, ont réussi à transférer sans encombre l'équivalent de 137 millions de centimes. Dix voyages de 1 890 napoléons. En chocolat. L'impunité ne fut toutefois pas totale : sur plusieurs passages, à pied, en train, en voiture ou en bateau, l'un échoua - volontairement - et les trois escrocs de pacotille furent soumis à une fouille en règle.
L'idée naquit d'un chiffre. Un pavé lancé sans grand souci d'exactitude par Alain Mauger, dirigeant du syndicat CGT des douanes : quarante milliards de francs, montant supposé des capitaux français ayant été transférés illégalement en Suisse depuis le début