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Interview

«Le ras-le-bol fiscal est un artifice»

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Directeur de l'Observatoire des inégalités, Louis Maurin dénonce la propagation d'une «démagogie anti-impôts» à l'approche des débats budgétaires.
publié le 11 septembre 2013 à 13h04
(mis à jour le 11 septembre 2013 à 14h44)

«Ras-le-bol fiscal» : lancée fin août par Pierre Moscovici, l'expression a fait florès. L'opposition, le patronat et certains commentateurs s'en sont saisis pour exprimer leur opposition à de nouvelles hausses d'impôts. Jusqu'à la proclamation par François Hollande d'une «pause fiscale» en 2014... pour les entreprises au moins. Selon Louis Maurin, sociologue et directeur de l'Observatoire des inégalités, «le bluff des plus aisés a marché» grâce, notamment, à une utilisation habile des statistiques fiscales. Interview.

Que voulez-vous dire en dénonçant la «construction du ras-le-bol fiscal» ?

Je veux dire qu'en toute évidence, ce sentiment a été fabriqué : consciemment par certains, idéologiquement hostiles à l'impôt; inconsciemment par d'autres qui, manquant de compétences ou de sens critique, ont relayé une information qui leur semblait sérieuse et partagée par tous. Il s'est produit un effet d'entraînement déjà observé dans le passé. Par exemple lors du débat sur la carte scolaire : du jour au lendemain, tout le monde s'est retrouvé opposé à ce système qui avait pourtant ses avantages. 

L'expression a pourtant été lancée par le ministre de l'Economie lui-même...
Depuis la fin des années 1980, il y a au Parti socialiste une espèce de schizophrénie quant aux impôts, avec d'un côté un discours sur l'importance de la réforme fiscale, et de l'autre l'idée qu'il ne faut pas faire payer les gens davantage. François Mitterrand lui-même déplorait le niveau des prélèvements obligatoires dans sa Lettre aux Français de 1988.
Que révèle la comparaison des taux de prélèvements entre la France et ses voisins ? 
Il faut d'abord dénoncer un artifice. Quand on parle d'impôts, la plupart des gens pensent d'abord à l'impôt sur le revenu. Or, les recettes de celui-ci ne représentent en France que 7,3% du PIB, contre 8,8% en Allemagne et 10% au Royaume-Uni. Les commentateurs entretiennent pourtant la confusion en mentionnant un autre indicateur, le taux de l'ensemble des prélèvements obligatoires (TVA, cotisations, etc.), qui était lui de 42,9% en 2010 selon l'OCDE - au passage, c'est moins que le Danemark, la Suède ou la Belgique. 
De toute façon, même ce dernier indicateur n'a pas de sens. Il mesure la tendance d'un pays à répondre à ses besoins de manière privée ou de manière collective. Il compare donc des services rendus très différents selon les pays. Les Anglais payent moins d'impôts, mais doivent dépenser plus pour l'éducation de leurs enfants. Nous cotisons plus pour notre système de retraite par répartition. Avec un système par capitalisation, nous payerions des fonds de pension à la place : en serions-nous plus heureux ?
En clair, ce n'est qu'une question de tuyauterie. La plupart des sommes prélevées finissent par revenir à la population. Le montant d'un RSA sera rendu au circuit économique de proximité; une niche fiscale n'alimentera que l'épargne de ceux qui en profitent. 
Est-il illégitime de se plaindre du niveau de prélèvements ? 

En aucun cas. Mais pas en utilisant des outils qui n'ont aucun sens. Le prélèvement n'est pas bon en soi, et certaines économies sont certainement nécessaires. Je n'aime pas non plus la démagogie consistant à dire qu'il faut «faire payer les riches». Et certaines catégories peuve