Croître un peu, mais surtout pas trop. Miser sur des produits durables et à haute «valeur d'estime». Sortir du temps hystérisé de la mode qui valse tous les six mois et ralentir les délais de production. Après avoir longtemps ramé à contre-courant, le patron de la Forge de Laguiole, qui produit chaque année dans le village aveyronnais du même nom 140 000 couteaux conçus pour «une vie entière», a l'impression que son approche de l'entreprise commence enfin à dépasser le stade de la «sympathique expérimentation malheureusement pas généralisable».

Ingénieur des Mines passé par d'anciens fleurons industriels comme Alcatel ou Peugeot, Thierry Moysset est persuadé que son modèle anti-low-cost ancré dans une réalité du «terroir» qui n'a rien de passéiste peut s'appliquer à des pans entiers de l'activité : «Si l'on s'accorde sur le fait que sa première finalité est de procurer un emploi au plus grand nombre, si l'on partage l'idée qu'il faut consommer moins mais mieux, cette inévitable bifurcation vers un modèle de croissance modéré mais qualitatif est à notre portée.» Lors d'une rencontre récente à Rodez (Aveyron) avec un ministre qui lui demandait comment l'aider, cet entrepreneur qui se désole d'être encore catalogué «atypique» a répondu qu'il n'avait pas besoin d'argent mais «de consommateurs intelligents». «La crise, on s'y est largement mis tous seuls, en fonçant tête baissée dans l'impasse productiviste, conclut-il. On