Hypothèse paradoxale : et si la lutte contre la pauvreté et l'exclusion passait par le marché, lui que l'on tient responsable du creusement des inégalités ? Historienne, directrice de recherche au CNRS, Laurence Fontaine est spécialiste des pratiques de l'économie dans l'Europe moderne. Dans son dernier livre, le Marché, histoire et usages d'une conquête sociale, elle s'intéresse aux usages concrets du marché plutôt qu'aux marchés financiers, symbole d'un capitalisme anonyme. Elle souligne le rôle émancipateur de l'échange commercial local pour les plus démunis. Une économie à hauteur d'homme est-elle envisageable ?
Le marché est sans cesse diabolisé, il a montré ses dysfonctionnements et vous en faites un instrument de conquête sociale, quelle idée !
L'expression de Max Weber «le marché rend libre» est une réalité historique. De tout temps, les pauvres essayent d'acquérir la propriété de petites choses, indispensable à l'échange, et développent des stratégies pour entrer dans le marché et améliorer leur condition. En travaillant sur les colporteurs, j'ai découvert qu'il y avait toute une hiérarchie de vendeurs ambulants et que ceux qui avaient le droit d'entrer sur le marché pouvaient faire fortune et changer de vie.
Concrètement, le marché est un achat ou une vente à un prix débattu. Ainsi, il déstabilise les sociétés à statut en dynamitant les hiérarchies fondées sur la naissance pour en créer de nouvelles. Pour les aristocrates, échanger d'égal à égal était dégradant. Pour montrer leur supériorité, ils n'allaient pas au marché [de vente à l'étal, ndlr] et fixaient la valeur des cho