Pause déjeuner sur la Paulista, un important quartier d’affaires de São Paulo, la capitale économique du Brésil. Les cols blancs se pressent sur l’imposante avenue bordée de gratte-ciel. Après des années fastes, le géant latino est englué dans la stagnation. En sortir sera le grand défi de Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT). Réélue sur le fil en octobre, la présidente brésilienne a entamé jeudi son second mandat en faisant du retour à la croissance sa priorité numéro 1. Et pour cause. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2011, le taux de croissance moyen est tombé à 1,6% par an, contre 4% sous son prédécesseur et mentor, Lula (2003-2010). Et pour cette nouvelle année 2015, le FMI ne prévoit que 0,3% de croissance pour le Brésil.
Fitness. Costume de bonne facture, Luiz, cadre sup, se dit «très pessimiste». Il cite l'inflation des prix - qui flirtaient l'an dernier avec le plafond officiel des 6,5% -, les taux d'intérêt prohibitifs - en moyenne 27,4% selon la Banque mondiale - et la consommation qui s'essouffle, «parce qu'on n'est pas les Etats-Unis». Lui n'a pas à se plaindre. Sa boîte construit des clubs de fitness, secteur qui, «grâce au culte du corps», ne connaît pas la crise. «Mais jusqu'à quand ?» s'interroge ce quinqua.
La nomination, le 27 novembre, d'un nouveau ministre des Finances, le très orthodoxe Joaquim Levy, a été un coup dur pour le PT, qui a perdu le portefeuille et craint l'impact des coupes budgétaires annoncées sur les plus défavorisés. Pour les milieux d'affaires, en revanche, ce virage libéral devrait «restaurer la confiance», entamée selon eux sous le premier mandat de Dilma Rousseff, qui a ouvert le robinet des dépenses en faisant fuir une partie des investisseurs. «La Présidente a fait l'erreur fondamentale de vouloir baisser les taux d'intérêt à marche forcée, juge un banquier étranger établi à São Paulo. Avec la hausse de l'inflation, il a fallu les remonter à toute vitesse.»
Résultat, la droite se frotte les mains : la gauche a échoué. Pas pour le syndicaliste Quintino Severo, qui raille au passage «ces patrons qui dénoncent les interventions de l'Etat dans l'économie mais l'appellent à l'aide quand ils sont en difficulté». Pour ce dirigeant de la Centrale unique des travailleurs (CUT), liée au PT, la politique de Rousseff aurait, au contraire, permis de limiter les dégâts de la crise internationale : «Les salaires augmentent et l'emploi se maintient», fait-il valoir.
Le chômage, il est vrai, reste faible (6%). Mais plus pour longtemps, annoncent les experts, qui prévoient deux années difficiles. L'euphorie de l'ère Lula est bien finie. Le Brésil, première économie du continent, surfait alors sur l'envol du cours des matières premières qu'il exporte (soja, minerai, etc.). Cette manne avait permis au leader de gauche de financer ses politiques sociales comme la hausse du salaire minimum (233 euros aujourd'hui), relevé de 72,3% en termes réels depuis 2003, ou encore la bolsa família, une aide versée chaque mois aux démunis. La démocratisation du crédit a fait le reste. 40 millions de Brésiliens ont quitté la grande pauvreté pour entrer sur le marché des consommateurs. Mais le ralentissement de la Chine, gros importateur de matières premières, a tiré vers le bas les cours des produits de base. Et la relance de l'économie mondiale reste fragile. «Dans un contexte international plus difficile, le Brésil n'est pas équipé pour s'en sortir tout seul, reprend le banquier. Il n'y a pas de relais de croissance.»
Rengaine. Ces dernières années, c'est la consommation qui a fait tourner la machine, mais les ménages sont de plus en plus endettés. «Dilma aurait dû plutôt soutenir l'industrie manufacturière, qui se délite», critique pour sa part l'économiste Joaquim Elói Cirne de Toledo. Entre 2004 et 2013, la production industrielle n'a progressé que de 16% alors que la consommation a quasiment doublé. A la puissante Fédération des industries de l'Etat de São Paulo, José Ricardo Roriz Coelho met en cause la surévaluation de la monnaie, le real, qui «encourage les importations et décourage les exportations». Il pointe aussi le fameux «coût Brésil», qui plombe la compétitivité de l'industrie : pression fiscale croissante, coûts logistiques grevés par la précarité des infrastructures, taux d'intérêt élevés, mais aussi, ajoute le représentant du patronat, «des salaires qui progressent beaucoup plus vite que la productivité».
Une rengaine qui agace Quintino Severo. «Quand ils gagnaient beaucoup d'argent, les patrons n'ont pas investi dans la modernisation du parc industriel», accuse le syndicaliste, qui ne nie pas la nécessité de réformes. Car la morosité a mis à nu les problèmes structurels du pays tel le manque de qualification de la main-d'œuvre, ou encore un système fiscal kafkaïen, qui fait les affaires de Sydney, un avocat fiscaliste croisé sur la Paulista. «Nos entreprises mettent 2 600 heures par an à s'acquitter de leurs impôts, contre 100 seulement aux Etats-Unis ! Il faudrait tout changer… à commencer par notre classe politique.»