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Libération
Enquête

Dans tout l’Hexagone, les routiers sur le sentier de la grève

Les chauffeurs réclament notamment une augmentation de 100 euros, profitant du début, mardi, des négociations de branche annuelles.
Dans le Pas-de-Calais, en octobre. (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 18 janvier 2015 à 18h56

Les routiers sont sympas mais il ne faut pas trop les chauffer. A partir de dimanche 22 heures, des centaines de camions devaient bloquer l'accès aux centres logistiques et ralentir le trafic sur les axes routiers des grandes métropoles, Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes ou Lille. Opérations escargots, blocus de sites comme le port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ou les environs de l'aéroport de Roissy… L'intersyndicale des chauffeurs routiers (CGT, FO, CFTC, CFE-CGC) a appelé ses encartés et sympathisants à tirer le frein à main de leurs poids lourds pour protester «contre la smicardisation et la paupérisation» de leur métier et demander «une augmentation de pouvoir d'achat de 100 euros». Seule la CFDT, syndicat majoritaire chez les transporteurs aux dernières élections mais en perte de vitesse depuis, ne s'est pas jointe au mouvement.

«L'objectif n'est pas de bloquer la population mais de toucher les employeurs», prévenait dimanche Pascal Goument, de la CFTC, interrogé par l'Agence France-Presse. «Nous avons l'habitude de travailler avec la police, nous laisserons passer bien évidemment les forces de sécurité, les pompiers, les ambulances», renchérissait Jérôme Vérité de la CGT, contacté par Libération.

«Provocation». La circulation s'annonce difficile aux environs de la capitale et des autres grandes métropoles. En revanche, les dépôts de carburant, visés prioritairement par les routiers en colère en 2010, seraient épargnés dans un premier temps… «On ne fait pas ça pour emmerder les gens, mais les propositions patronales s'apparentent à une provocation. Annoncer 1% d'augmentation quand on part à peine du Smic horaire à 9,53 euros, ce n'est pas sérieux, accuse Patrice Clos, du syndicat Force ouvrière (FO). On leur a fait part de notre désaccord dès le 1er décembre. Ils ont envoyé délibérément les routiers à la grève.»

Le mouvement intervient en effet à la veille de la première séance de négociation annuelle obligatoire (NAO) qui doit s’ouvrir demain au ministère du Travail, quai André-Citroën à Paris, entre syndicats de chauffeurs et organisations patronales du secteur (FNTR, TLF, Otre, Unostra). Il s’agit pour l’intersyndicale de mettre un coup de pression sur les employeurs, mais aussi sur le gouvernement, qui a d’autres soucis en ce moment.

Les syndicats exigent 100 euros d’augmentation en moyenne pour tous les chauffeurs, avec un nouveau taux horaire minimum de 10 euros pour les salaires les plus bas (soit une revalorisation de 5%). Ils demandent également la mise en place d’un treizième mois, une meilleure mutuelle et la prise en compte de la pénibilité de leur travail alors que les négos sur le sujet sont au point mort.

«Maximum». «Nous sortons de deux années blanches sans revalorisation salariale. Et 80% de la profession est au Smic sans compter les heures sup, s'insurge Jérôme Vérité. Les chauffeurs longue distance arrivent péniblement à 2 000 euros ou un peu plus mais à quel prix : des semaines de 56 heures, 200 heures par mois !» Et les conducteurs des entreprises de messagerie et du secteur logistique courte distance «n'ont même pas cette possibilité puisqu'ils sont aux 35 heures». Patrice Clos, de FO, ne dit pas autre chose et accuse : «Le patronat a organisé la paupérisation du métier et en plus il fait de plus en plus appel à des chauffeurs polonais ou roumains. Nous étions 40 000 chauffeurs longue distance il y a vingt ans, nous ne sommes plus que 10 000 aujourd'hui, demandez-vous pourquoi.»

Pour faire valoir leurs revendications salariales, les syndicats pointent «les 500 millions à 600 millions d'euros de cadeau» du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) donnés aux entreprises du secteur et «la baisse du prix du gazole». Mais la Fédération nationale du transport routier (FNTR), qui regroupe les deux tiers des employeurs, réfute en bloc ces arguments. Son délégué général, Nicolas Paulissen, met en avant «la crise du secteur routier qui s'est aggravée depuis 2011 et la nécessité pour les entreprises de rester compétitives face à la concurrence des transporteurs de l'Est».

Le secteur de la messagerie et de la logistique a notamment connu une année noire en 2014 avec le dépôt de bilan de Mory Ducros qui a laissé 2 800 des 5 000 salariés sur le carreau. «Le problème du pouvoir d'achat est réel, mais quand les syndicats réclament 5% à 10% d'augmentation de branche en comptant le treizième mois, ce n'est pas du tout réaliste», explique Nicolas Paulissen. Mardi, il arrivera à la négociation avec une proposition de revalorisation salariale «améliorée de 1% à 2%». «C'est peu, mais c'est le maximum que nous puissions faire. En dehors des négociations de branche, il y a aussi les négociations d'entreprises pour faire avancer les choses», plaide-t-il.

Le patronat espère une faible mobilisation dans le contexte post-attentats. Mais «il suffit d'un chauffeur qui plante son camion en travers de la route pour mettre tout le monde en grève derrière», prévient un routier en colère qui se rappelle «qu'en 1996, on était parti pour vingt-quatre heures et qu'au final, on a tout bloqué pendant trois semaines». On n'en est pas encore là, mais le mouvement des routiers est reconductible.