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Libération
Interview

Sylvain Broyer : «C’est une victoire pour la Bundesbank»

Sylvain Broyer, analyste à Francfort, estime que les réserves émises par l’Allemagne ne sont plus fondées :
publié le 22 janvier 2015 à 20h06

En Allemagne, le programme de rachat de titres d’Etat par la Banque centrale européenne présenté hier à Francfort avait été déjà vivement critiqué en amont. Analyste à Natixis dans la capitale financière allemande, Sylvain Broyer estime toutefois que l’Allemagne sort gagnante de cette nouvelle donne monétaire.

L’Allemagne qui avait beaucoup critiqué l’intention de la BCE avant même les annonces de Mario Draghi jeudi est-elle perdante dans l’opération ?

Pas du tout. Je vois même ce programme comme une victoire de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui était très opposé au projet, parce qu’on n’aurait pas du tout, ou très peu de partage du risque entre les pays de la zone euro. C’est la grosse surprise de jeudi : la mutualisation du risque ne concerne que 20% du programme que va mettre en place la BCE à partir du 15 mars. Pour les 80% restant, chaque banque centrale nationale achètera des titres de son pays et en supportera le risque.

Pourquoi ces concessions à l’Allemagne ?

Mario Draghi a surtout voulu s’assurer de la participation de la Bundesbank. Il faut bien voir que cette faible mutualisation du risque ne change pas grand-chose à l’efficacité du programme, parce qu’on sait qu’il n’y aura pas de dépôt sur les obligations souveraines, ou très peu. Au final, la concession faite à l’Allemagne ne change presque rien.

Comment expliquer, alors, les peurs des Allemands ?

C’est la même chose que pour les euro-obligations. La zone euro n’est pas une union monétaire complète, puisqu’on n’a pas de politique fiscale commune. Et puisqu’il n’y a pas de partage des ressources fiscales, les Allemands estiment que les garanties juridiques ne sont pas suffisantes pour partager les risques. Objectivement, l’idée se défend…

Les Allemands ne partagent pas l’analyse de la BCE au sujet du risque déflationniste. Est-ce justifié, selon vous ?

C’est vrai qu’on n’a pas de déflation, mais une inflation négative. Les raisons n’en sont pas monétaires. Elles sont à chercher du côté des réformes structurelles avec celles des marchés du travail au sein de la zone euro, les surcapacités de production, par exemple dans l’automobile en Allemagne, la concurrence, les progrès techniques, la digitalisation… Et du fait de la baisse du prix des matières premières, liée à une surproduction de pétrole depuis que les Etats-Unis exploitent les hydrocarbures de schiste.

En Allemagne, on fait également valoir que cette annonce de la BCE intervient comme par hasard à la veille des élections grecques…

Cette critique n’est pas justifiée. D’abord, parce que la BCE a dit qu’elle n’achèterait qu’un type de bonds du Trésor qui ne concerne pas la Grèce. En annonçant son programme maintenant, elle montre clairement qu’elle intervient dans le cadre d’une stimulation monétaire, avec un mandat lié à l’inflation, et non pas pour des raisons politiques. C’est plutôt intelligent. Au final, les Allemands vont râler parce qu’on fait tourner la planche à billets. Mais avec le programme très encadré présenté hier, leurs craintes ne sont plus fondées.