Emprisonné depuis novembre pour abus de biens sociaux, l’ancienne coqueluche des milieux d’affaires allemand n’en a pas fini avec les ennuis. Thomas Middelhoff risque en effet un nouveau procès pour le dossier Arcandor, du nom de la maison mère des grands magasins Karstadt, qu’il a dirigée entre 2004 et 2009. En charge du dossier, le procureur de Bochum s’intéresse à un virement de 800 000 euros destiné à la Saïd Business School de l’université d’Oxford qui aurait été effectué, selon le ministère public, sans contreparties et sans l’aval du conseil de surveillance. Une somme versée deux jours avant que Thomas Middelhoff ne soit destitué de ses fonctions, en février 2009. A l’époque, le groupe allemand est pourtant au bord de la faillite, les salariés des grands magasins étant contraints de renoncer à leurs primes de Noël et à leurs congés.
Middelhoff, lui, justifie ce sponsoring de la prestigieuse université britannique par la difficulté pour Arcandor de «recruter des managers de talent» parlant suffisamment bien anglais. Mais l'hebdomadaire Der Spiegel rappelle que «Middelhoff siégeait au sein de l'une des instances de l'université»…
Cette affaire s’ajoute à la condamnation de Middelhoff à trois ans de prison, avec incarcération immédiate, le 14 novembre, pour abus de biens sociaux. Le patron avait fait payer par Arcandor une cinquantaine de vols en avion privé et en hélicoptère, dont certains ne servaient qu’à éviter les embouteillages. Un préjudice estimé à 500 000 euros par le tribunal d’Essen. Le groupe, lui, a déposé le bilan en 2009.
«Prodige». En Allemagne, tout le monde connaît ce visage toujours bronzé, ces cheveux soigneusement gominés, ce regard pétillant derrière de petites lunettes, ce sourire carnassier, cette haute stature athlétique immanquablement vêtue d'un costume taillé sur mesure, veston deux rangs fermé sur une chemise immaculée… Au temps de sa splendeur, Thomas Middelhoff fait régulièrement la une de la presse économique. Il est alors le «prodige de l'économie allemande», un visionnaire charismatique à l'intelligence acérée capable de faire grimper les cours de la Bourse en deux phrases bien trempées au cours d'une présentation de bilan. Sa carrière est fulgurante : membre du conseil de direction du géant de la presse Bertelsmann à 37 ans ; à la tête du groupe à 45 ans ; il devient patron d'Arcandor à 55… Sa chute n'en sera que plus spectaculaire.
Thomas Middelhoff est né en 1953 à Düsseldorf dans une famille de la bonne bourgeoisie. Son père possède une petite société de textile, dans laquelle il débute après des études d'économie à l'université de Munster. A 33 ans, il quitte l'entreprise familiale pour rejoindre Bertelsmann en plein boom de la «Nouvelle Economie», cette phase de forte croissance générée par le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication au début des années 90. Surnommé «la Vieille Dame», Bertelsmann est alors un empire de province poussiéreux sis à Gütersloh (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), à mille lieux des nouvelles technologies. Middelhoff va bousculer tout ça. «Sunny Boy» se définissant lui-même comme un «Américain avec un passeport allemand», il jouit de la confiance de la famille Mohn héritière du fondateur de Bertelsmann et d'une grande liberté d'action. Le gros coup à l'origine de la légende Middelhoff : la création d'une joint-venture avec AOL. Les parts achetées pour quelques centaines de millions de dollars en 1995 seront revendues quatre ans plus tard pour 7,5 milliards d'euros à Time Warner. Middelhoff devient la coqueluche de la Bourse et rejoint la jet-set. Avec la prime de 40 millions que lui accorde Bertelsmann, il s'achète une propriété à Saint-Tropez, un yacht de 33 mètres. Il confie la gestion de sa fortune et sa confiance à la banque Sal Oppenheimer, qui l'orientera plus tard vers des placements hasardeux, lorsqu'il sera à la tête de Karstadt. Première erreur. D'autres suivront, comme les achats de Napster, Pixelpark ou Myplay.
Surtout, Thomas Middelhoff commet un impair en tentant de forcer l’entrée en Bourse de Bertelsmann. Le pas est impossible à franchir pour la famille Mohn. C’est le clash.
«Sauvetage». Middelhoff quitte le groupe en 2002 pour rejoindre Londres, où il passe à la banque d'affaire avant d'être appelé par Madeleine Schickedanz pour sauver le groupe familial Karstadt-Quelle en difficultés. Middelhoff se sépare d'activités non rentables (les magasins Hertie, aujourd'hui disparus), cède le parc immobilier du groupe pour renflouer les finances, engage Arcandor dans le tourisme (avec l'achat de Thomas Cook) et annonce, en 2007, «le sauvetage» du groupe après une «réunion de travail» dans sa propriété tropézienne où est décidé le licenciement de 4 500 vendeuses. Un an et quelques mois plus tard, Arcandor dépose le bilan.
De la jet-set à la faillite personnelle, Thomas Middelhoff n’aura pas su gérer son statut de nouveau millionnaire. Aujourd’hui, ses avoirs sont gelés et Arcandor lui réclame les 4 millions d’euros de son parachute doré, Sal Oppenheimer exigeant 2,5 millions pour le yacht qu’il n’a jamais payé.