Au moment de la succession de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi était décrit comme le candidat idéal (à un petit détail près, son passage chez Goldman Sachs). C'était en novembre 2011. Un an plus tard, l'homme fort de la BCE réussi à endiguer la crise des dettes publiques. Les marchés financiers le surnomment alors «Super Mario». Jeudi, Draghi était plus «Super Mario» que jamais. Du moins, selon nombre d'analystes financiers et autres responsables de salles de marchés. A peine la conférence de presse terminée - que d'aucuns jugeaient historique avant même qu'elle n'ait eu lieu -, voilà que toute une batterie d'indicateurs étaient passés au vert. Les taux d'intérêts des obligations souveraines des pays membres de la zone euro ? En baisse, certains affichant même des taux records. Les places financières ? Paris, Madrid, Francfort, Milan… Partout, les investisseurs se sont (re)mis à acheter des actifs financiers, persuadés que la zone euro, au bord de la déflation, était sur la voie du rétablissement économique. Et qu'il était temps de recommencer à faire des affaires. Quant à l'euro, il réagissait lui aussi à la thérapie annoncée par «il dottore Draghi». A la mi-journée, la monnaie unique valait 1,1456 dollar, son niveau le plus faible depuis novembre 2003, contre 1,1607 dollar mercredi. De quoi gonfler le moral des entreprises exportatrices. Du moins en théorie.
Robinet. Personne n'en doutait mais, cette fois, c'est acté : Mario Draghi a sorti la grosse artillerie. Après les Etats-Unis, le Japon ou encore le Royaume-Uni, la BCE lance à son tour un QE, le fameux quantitative easing («assouplissement monétaire»). Les experts tablaient sur environ 700 milliards. Draghi leur a annoncé près du double. Les rachats massifs de dettes, notamment publiques, s'élèveront à 1 140 milliards d'euros. Du jamais-vu. Une action inédite destinée à contrer le risque de déflation et à stimuler l'économie de la zone euro.
La planche à billets de la BCE est donc sur le point de tourner à plein régime. Et le top départ de l'ouverture du robinet à liquidités sera donné dès le 15 mars. A cette date et jusqu'en septembre 2016, ce sont 60 milliards d'euros qui seront déversés chaque mois par la BCE et les banques centrales des membres de la zone euro sur les marchés financiers. Et pour bien montrer qu'il fera le maximum, si d'aventure la thérapie de l'assouplissement monétaire se révélait trop molle, Super Mario s'est dit prêt à poursuivre cette politique au-delà,«en tout état de cause jusqu'à ce que nous voyions un ajustement pérenne dans la trajectoire de l'inflation, conformément à notre objectif d'atteindre un taux d'inflation inférieur, mais proche de 2%».
Au bout du compte, cette manne devrait provoquer une hausse de la valeur des actifs financiers achetés par la BCE. Avec, en prime, une baisse des rendements obligataires. Et, cette fois, l’institution monétaire de Francfort achètera des obligations, dont les maturités vont de deux à trente ans. La précision a son importance. Elle signifie que les Etats pourront émettre des obligations à durée relativement longue à des taux relativement bas.
Si tout se passe comme prévu, tous les taux d’intérêts devraient piquer du nez. Non seulement les taux de rendement des obligations, mais aussi les taux de crédits distribués par les banques. Le but, relancer l’économie européenne exsangue et une demande anémique au point d’alimenter le risque déflationniste. S’il joue les pompiers, le président de la BCE a néanmoins enjoint les gouvernements de la zone euro et la Commission européenne à ne pas se reposer sur la politique monétaire. Donc à agir de leur côté pour soutenir l’économie.
Contrepartie. La grande majorité de cet assouplissement quantitatif sera mis en œuvre par les banques centrales nationales des 19 pays de la zone euro. Mais seuls 20% des titres achetés seront soumis à un partage des risques, dont les pertes éventuelles seront assumées in fine par tous les contribuables de la zone euro. Pour les 80% restants ? Oublié, la mutualisation, la solidarité. Chaque banque centrale achètera des titres de son pays et en supportera les risques. Jusqu'au bout, Draghi aura bataillé avec l'Allemagne. Il arrache la décision de rachat massif via une politique monétaire non conventionnelle, mais lâche, en contrepartie, sur ses modalités, pour le coup, très orthodoxes (absence de solidarité)… Selon Berlin, le rachat d'obligations d'Etats est une façon de soutenir la Grèce et d'encourager les Etats, comme la France, qui tardent à mettre en branle des «réformes structurelles». Pour d'autres, en revanche, le grand bond en avant de la BCE a des allures de saut dans l'inconnu. «Trop peu, trop tard ?» s'interrogent des économistes (lire sur Libération.fr).