La France, cancre de l'Europe? Avec une croissance atone depuis trois ans, un chômage au plus haut et une dette bientôt proche des 100% du PIB, l'Hexagone est-il, comme le clame toute la droite et une partie des élites économiques, le vilain petit canard de l'Union ? «Le mauvais élève, c'est avant tout l'Europe !», estime Gérard Cornilleau, économiste à l'OFCE. C'est l'UE, gouvernée par l'ensemble des dirigeants nationaux, «qui a choisi une voie de sortie de crise qui était mauvaise». Notre pays a beau se débattre comme il peut, sa croissance «a été plombée, avant tout, par les ajustements sanguinaires imposés à l'Italie et l'Espagne», respectivement 3e et 4e économies de la zone euro. Dans ce contexte, «parler les politiques nationales n'a pas beaucoup de sens», ajoute Gérard Cornilleau.
S'il faut néanmoins analyser la position de l'Hexagone au sein du quatuor Allemagne, France, Italie et Espagne représentant 75% du PIB de la zone euro, «alors la France est dans une position médiane», explique l'économiste. Sur le critère vedette qu'est le PIB, c'est-à-dire sur la richesse créée par chaque pays, la France est certes à la traîne par rapport à l'Allemagne, mais elle a rattrapé dès 2010 son niveau de production d'avant la crise, alors que l'Espagne et l'Italie sont encore en dessous. Autrement dit, ces deux derniers pays produisent toujours moins de richesses qu'avant 2008. Quant au Royaume-Uni (au PIB équivalent à celui de la France mais situé hors zone euro), son économie, avec 3% de croissance en 2014, va bien dépasser la France en 2015, mais c'est en grande partie grâce à une appréciation de la livre par rapport à l'euro. Le pays, surtout, n'a retrouvé son niveau de production de 2008 qu'en 2012, soit deux ans après la France, et n'a rattrapé son pic de 2007 que l'année dernière.
Champion. Si la France, en termes de croissance, a donc évité le pire, elle affiche hélas un taux de chômage désespérant (10,3% de sa population active), quand l'Allemagne et la Royaume-Uni fricotent avec le plein-emploi (respectivement 5% et 6% de chômage). Mais là encore, l'Italie, avec 13,4%, et surtout l'Espagne (23,9%), font relativiser la contre-performance Française, parmi les cinq principales économies de le l'Union européenne.
PIB, déficit et dette
Autre dossier sur lequel notre pays est pointé du doigt : ses comptes publics. Avec 4,4% de déficit public sur PIB en 2014, non seulement la France n’a pas respecté son engagement de revenir à 3% en 2013, mais elle se situe près de 2 points au-dessus de la moyenne européenne. Incomparable avec l’Allemagne, qui affiche un léger excédent, et moins bien placé que l’Italie (3%), l’Hexagone fait cependant «mieux» que l’Espagne (5,6%) ou que le Royaume-Uni (5,4%), où le déficit devrait même repartir à la hausse cette année. Même chose concernant la dette publique. Bientôt proche, comme l’Espagne, de 100% du PIB, la dette de la France est un tiers plus importante qu’outre-Rhin, mais encore très inférieure à celle de l’Italie (130% du PIB), souvent présentée comme la prochaine cible des investisseurs. Et malgré des comptes dégradés, la France reste, avec l’Allemagne l’un des pays du continent qui se financent à plus bas coût sur les marchés. Bref, le compte en banque est dans le rouge, mais l’Hexagone, à l’inverse des pays du Sud, inspire (encore) suffisamment confiance pour se voir prêter de l’argent à très bas prix.
Le chômage en Europe
La France, élève moyen de la classe européenne, a-t-elle de meilleures armes que ses voisins pour profiter d’une éventuelle reprise ? Principal handicap, selon de nombreux économistes : son coût du travail. Encore plus élevé qu’en Allemagne dans le secteur privé, il a néanmoins tendance à fortement ralentir, notamment sous l’effet de la fameuse politique de l’offre initiée par François Hollande. Le coût du travail en France n’a ainsi évolué à la hausse que de 0,2% en 2013, contre plus de 2% Outre-Rhin. Dans le seul secteur manufacturier, sujet à la concurrence internationale, il est même quasi équivalent à nos voisins allemands (36,70 euros de l’heure en France, contre 36,20 euros en Allemagne). Car à l’inverse de la France, l’Allemagne, elle, sort progressivement de plusieurs années de modération salariale.
La main d'œuvre en Europe
Parenthèses. Plus «chère» que les autres, la France conserve par ailleurs un atout attractif pour les investisseurs : sa productivité. Notre pays reste ainsi champion dans ce domaine, bien au-dessus de la moyenne de la zone euro, et dans une situation un peu meilleure qu'en Allemagne. La France a même réussi à maintenir sa position malgré la crise, ce qui a aussi pu contribuer, selon certains, à une plus forte hausse du chômage. Au Royaume-Uni, en revanche, la productivité, déjà plus faible qu'en France il y a six ans, ne cesse de se dégrader depuis 2008.
Autre avantage pour la France, son taux de natalité - l’un des plus importants d’Europe -, alors que l’Allemagne, elle, voit sa population se contracter. Un atout à court terme outre-Rhin pour le chômage et les dépenses publiques, notamment d’éducation, mais un vrai problème à moyen terme pour la dynamique de son économie. Par ailleurs, si l’Hexagone est mal positionné sur les marchés, avec des produits moyens de gamme en concurrence directe avec les pays à faible coût de production, elle conserve un bon niveau de formation, dont un fort potentiel d’ingénieurs, qui peuvent lui permettre de rebondir. Tout comme la diversité de son économie, qui emprunte à la fois au capitalisme financier britannique et au capitalisme industriel allemand.
Reste que la sortie de crise du pays, et de l'ensemble du continent, ne se fera qu'au niveau européen. Et sur ce plan, un espoir est désormais permis. Trois facteurs sont ainsi réunis, qui devraient permettre à l'Europe d'entrevoir enfin le bout du tunnel : des taux d'intérêt très bas, permettant aux Etats de se refinancer à très faible coût et donc de mettre entre parenthèses la baisse des déficits, une dépréciation durable de l'euro qui devrait rendre nos exportations hors zone euro plus compétitives et, enfin, un prix du pétrole lui aussi très faible, qui allège considérablement notre facture énergétique. Trois facteurs positifs, dont les deux premiers devraient être confortés par la décision prise, jeudi, par la Banque centrale européenne (lire page 2).