Menu
Libération
Reportage

Gaspillage : les militants misent sur l’effet de benne

En virée avec les «gars’pilleurs», qui font de la récup dans les poubelles des supermarchés pour redistribuer les denrées saines. Un député veut légiférer en ce sens.
Un «gars'pilleur» lors d'une chasse au trésor alimentaire dans les poubelles d'un supermarché à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne, le 16 janvier. (Photo Fred Kihn)
publié le 30 janvier 2015 à 18h56

«Tout ce qu'on trouve dans un supermarché finit dans une poubelle», lance Maxime, cofondateur des Gars'pilleurs, mouvement «dénonçant les aberrations de l'agroalimentaire». Depuis quatre ans, ce jeune actif, qui utilise un pseudonyme, ne mange que ce qu'il trouve dans les bennes des grandes surfaces. Des fruits, légumes, produits secs ou frais récupérés la nuit, puis distribués gratuitement pour «sensibiliser au gaspillage». Chaque année, un supermarché produit 200 tonnes de déchets. Si une partie est donnée aux banques alimentaires, le tout-poubelle reste la règle. Mais les choses pourraient changer avec l'examen, le 5 février, de la proposition de loi du député UMP Jean-Pierre Decool. Son but ? Obliger les grandes enseignes de plus de 1 000 mètres carrés à donner leur surplus.

«Désobéissance». Posté devant une gare de l'Essonne, Maxime explique le programme de la récup. «On va aller sur une zone commerciale. Il faut rester discret, on est en désobéissance civile», lance-t-il. «Le problème juridique qui se pose pour les objets se trouvant dans les poubelles est de déterminer s'il s'agit de choses abandonnées. Car si tel n'est pas le cas, cela constituerait une infraction de vol», précise l'avocate des Gars'pilleurs. Autre problème, la distribution d'une denrée dont la date limite de consommation est dépassée est aussi interdite et «expose à une amende de 150 euros». Pas de quoi inquiéter l'étudiante autrichienne qui a répondu présente au rendez-vous annoncé sur Facebook. «A Vienne, c'est beaucoup plus répandu», raconte-t-elle, lampe frontale sur la tête, armée de gants. L'étudiante s'attaque à deux poubelles. A l'intérieur, des gâteaux et des tablettes de chocolat dont la date limite d'utilisation optimale (DLUO) est passée de dix jours. «C'est dingue que le cacao d'Afrique finisse dans ces poubelles», se désole-t-elle.

A la différence de la date limite de consommation (DLC) des produits frais, la DLUO est une indication sur l'état qualitatif du produit. Au-delà, la vente n'est pas interdite. «Mais les grandes surfaces ne le font pas car elles ont peur de faire fuir les clients», note Maxime. Sa meilleure prise depuis qu'il glane ? Cent douze litres de bière. «Les trois quarts des produits que l'on trouve sont périmés mais encore consommables. Le reste, ce sont des produits souillés ou abîmés», précise l'expert, qui a commencé la récup sur les marchés lyonnais en janvier 2013. «On ramassait les légumes abandonnés, puis on est passé aux boulangeries et aux supermarchés.»Depuis, les Gars'pilleurs ont trouvé un credo, «rien ne se perd, tout se récupère», et un logo, une pomme rouge aux allures de tête de mort, soulignée d'un couteau et d'une fourchette, qu'ils ont promené partout en France, lors d'un «Gars'pitour», fin 2014. «Nous rendons la thune aux consommateurs. Car si les grandes surfaces revalorisaient leurs déchets, les produits seraient moins chers, dit Maxime. On n'est pas une association caritative, l'idée n'est pas de donner les miettes aux pauvres.» Un message qui a parfois du mal à passer, le lendemain matin, à Paris. Plus de 300 kilos de pizzas industrielles, de fruits, de soupes, de fromages, de gâteaux offerts aux passants. «C'est bien ce que vous faites, mais donnez plutôt tout ça aux gens en difficulté», lâche une dame, qui refuse de se servir. D'autres se lancent, hésitants. «C'est difficile financièrement en ce moment», soupire une passante, en s'emparant d'un paquet de pain de mie. «Au final, 90% des gens partent avec quelque chose», note Maxime. «Ça ne craint pas, les produits laitiers ?» questionne un homme. «Il suffit de goûter pour savoir», tranche sa voisine, ex-glaneuse, qui se souvient de boîtes de foie gras et de pâtisseries trouvées dans des bennes.

«Fantaisistes». «Horrifié» par la montagne de victuailles, un passant accuse les patrons de «ne pas solder assez les produits en fin de vie». Un autre s'en prend aux pouvoirs publics qui ont «tout mis sous contrôle». «On est aussi responsables, on est devenu tellement fantaisistes dans nos achats», s'agace une dame. Maxime, lui, espère qu'«une transition alimentaire et économique est possible, à condition d'abandonner le modèle de la grande distribution». Un idéal partagé par la glaneuse autrichienne. «Faire les poubelles des magasins me rend aussi dépendante de ce grand gaspillage. Le mieux serait d'être dans une Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne), mais je n'ai pas les moyens.»

Photo Fred Kihn