C'était le mantra de François Hollande, l'incantation qui devait désamorcer les dossiers chauds. Dialogue social, dialogue social, dialogue social. Deux mots répétés à l'envi. Le carburant du quinquennat était trouvé. Et puis voilà que le 22 janvier, les négociations entre patronat et syndicats échouent à moderniser le dialogue social dans l'entreprise. Malice de l'actualité, quelques semaines plus tard, au pied de la Grande Arche de la Défense, on célèbre les soixante-dix ans des comités d'entreprise (CE) via une série de débats organisés par Libération et SalonsCE. Novices et initiés redécouvrent ces institutions créées par le Conseil national de la résistance, qui ne se réduisent pas aux chèques cadeaux et aux promotions du Club Med Gym.
«Compliments». «En 1945, les comités d'entreprise interviennent alors que le système représentatif a fait faillite, retrace Christian Dufour, sociologue et chercheur associé au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (Crimt). Les institutions sont déconsidérées. Un seul corps social sort indemne de cette période : le syndicalisme.» C'est l'acte de naissance des CE, chargés de pourvoir aux activités sociales comme de mettre leur nez dans la gestion économique des entreprises. On aurait pu en rester là, sans l'intervention d'un ministre du Travail socialiste au collier de barbe déjà finement ciselé : Jean Auroux, en 1982, donne son nom à un ensemble de lois qui fondent notamment les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et renforcent le rôle des salariés. «On n'a jamais fait mieux que ces lois, flatte le sociologue Alain Touraine. L'œuvre de M. Auroux est tout à fait extraordinaire.» Assis à quelques mètres, l'intéressé passe au rouge pivoine et glisse, comme pour s'excuser : «Je suis un peu gêné des compliments qu'on me fait… C'était un moment particulier de l'histoire.»
La social-superstar du jour a le triomphe modeste, parce qu'il sait qu'actuellement, ça rame sévère. «Le dialogue social, c'est de la frime, ce sont des mots», peste un ancien métallo en prenant le micro. Le taux de syndicalisation français plafonne à 8%. Et l'ancien ministre n'est pas le moins déçu. «Après les lois de 1982, je pensais qu'on allait voir émerger plein de militants syndicaux. Mais ça n'a pas été le cas.» Pas attractif, l'engagement au service des salariés ? La France est accro au rapport de force, constate Eugen Roth, président du DGB de la Sarre, la confédération syndicale allemande. Il raconte : «Une grande fonderie, qui emploie 1 500 salariés dont beaucoup de Français, évoquait des licenciements. Nous avons discuté de la stratégie entre nous et mon collègue français a dit : "Brûlons des pneus". Je n'ai pas compris tout de suite… Je voulais négocier, ça n'allait pas nous avancer de brûler des pneus ! On a pu sauvegarder les emplois, mais c'était un risque. Si nous n'avions pas gagné, je ne serais plus le représentant des syndicats aujourd'hui.» Jean Peyrelevade, l'ancien PDG de Suez et du Crédit lyonnais, entonne le même lamento. «En France, la relation entre l'employeur et ses salariés est nécessairement conflictuelle», déplore-t-il. Le paradoxe français éclate : une passion franche pour le bras de fer, avec des muscles ramollis.
L'échec des négociations sur le dialogue social dans l'entreprise a mis en lumière toute la fragilité des partenaires sociaux. «Les syndicats sont faibles car trop divisés, analyse Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, un cabinet de conseil aux comités d'entreprise. Il faut aller vers plus d'homogénéité.»
«Jardin». Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, était aux premières loges de la négociation ratée. Le gouvernement a repris la main, et le syndicaliste espère que le nouveau texte mettra à l'honneur les élus du personnel. «Le parcours des militants doit être reconnu et valorisé dans l'entreprise, dit-il. Il faut mettre fin à cette idée que les représentants profiteraient de leur temps libre pour s'occuper de leur jardin !» Quittant la salle, le secrétaire général doit fendre la foule, assailli par les questions, les mains tendues et les sourires de quelques fans de la CFDT - «on est de la Fnac, à côté».
On retrouve le métallo pistolero. Celui qui avait pris le micro pour flinguer le dialogue social ronronnant, la frime et les grands mots. Il écoute attentivement les propos de Jean-Patrick Gille, député PS et vice-président de la commission des affaires sociales : «C'est le monde syndical lui-même qui détient la solution à cette crise.» Jacques, du haut de ses 73 ans, a près d'un demi-siècle de syndicalisme dans les pattes. Les réunions tardives, les pneus brûlés, les comités et les «négos», il les connaît par cœur. «C'est important, il faut s'engager au moins une partie de sa vie, dit-il en regardant ses mains fatiguées. Mais les salariés ne peuvent pas être tout le temps sur la brèche.»