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Libération

Un «coup d’Etat financier» qui ne passe pas en Grèce

La décision de la Banque centrale européenne est vécue dans le pays comme un moyen de chantage.
Une manifestation de soutien au gouvernement grec, à Thessalonique, le 5 février. (Photo Sakis Mitrolidis. AFP)
publié le 5 février 2015 à 20h16

Une claque. Jeudi matin, les Grecs se sont réveillés avec une sacrée gueule de bois en apprenant la décision inattendue de la Banque centrale européenne (BCE) de couper en partie les vivres aux banques grecques. «Un choix politique», constatait un commentateur sur Skaï, une chaîne de télé locale. Certains, bien sûr, ne cachaient pas leur contentement. Comme l'ancien ministre conservateur Adonis Georgiadis, transfuge de l'extrême droite au sein du gouvernement précédent et éditeur de livres nationalistes et antisémites, qui avait beau jeu jeudi matin sur les plateaux télé grecs d'adopter la posture de l'Européen «raisonnable» face aux désirs de changements du nouveau gouvernement dominé par Syriza.

Fraude. Le 25 janvier, la Coalition de la gauche radicale a pour la première fois remporté les élections accédant ainsi au pouvoir avec la promesse de mettre un terme à la cure d'austérité imposée depuis cinq ans par Bruxelles et le Fonds monétaire international (FMI). Dès les premiers jours de cette «nouvelle ère» promise par Aléxis Tsípras, leader de Syriza et désormais Premier ministre, son équipe a multiplié l'annonce de réformes : le Smic devait ainsi être relevé de 580 à 710 euros, les retraites de moins de 700 euros pourraient à nouveau prétendre à un treizième mois, la saisie de la résidence principale en cas d'incapacité de s'acquitter de la taxe foncière serait supprimée et quelques milliers d'employés licenciés abusivement, seraient réintégrés. Mais le nouveau gouvernement s'engageait également à lutter de manière plus efficace contre la fraude fiscale et la corruption, «le crime économique» relevant désormais directement du Premier ministre. Ces annonces rapides ont séduit une opinion depuis longtemps désabusée et méfiante vis-à-vis de sa classe politique. «On verra bien comment ils financeront ces réformes, mais l'image est belle», reconnaissait sous couvert d'anonymat un ténor du parti conservateur Nouvelle Démocratie, désormais dans l'opposition, fin janvier à Athènes. «Un gouvernement qui tient ses promesses, c'est du jamais vu en Grèce», s'étonnait également un jeune Athénien en ce début d'année.

Cette semaine, un sondage réalisé par l'institut Public Issue révélait que 70% des Grecs faisaient confiance à Aléxis Tsípras et 60% approuvaient le choix de l'économiste Yanis Varoufakis comme ministre des Finances. Les deux hommes sont d'ailleurs montés au front très vite, en faisant cette semaine le tour des capitales européennes pour expliquer leur projet à leurs partenaires. Avec plus ou moins de succès, jusqu'à la douche froide de la BCE largement commentée sur Twitter où certains (et pas seulement des Grecs) dénonçaient jeudi un «coup d'Etat financier».

Serment. Coïncidence symbolique malheureuse, la sanction de la BCE intervient le jour où le nouveau Parlement grec, issu des urnes le 25 janvier, prêtait serment. Avec pour la première fois un serment civil et pas seulement religieux, dans un pays où l'Eglise n'est pas séparée de l'Etat. Une assemblée forcément un peu déstabilisée par la décision de Mario Draghi, le patron de la BCE, auquel les Grecs reprochaient déjà d'avoir fait partie de la banque Goldman Sachs quand celle-ci avait aidé un précédent gouvernement grec à maquiller ses comptes pour entrer dans l'euro.

Ces dernières années c'est devant la Vouli, le Parlement grec, sur la place Syntagma, que se sont déroulées les plus grandes manifestations hostiles au pouvoir pour cause d'austérité. Les Grecs étaient invités à s'y rendre jeudi soir. Mais pour soutenir leur gouvernement face à la BCE, au nom du «respect du choix démocratique des peuples».