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Libération
Reportage

Pour vivre, La Morte mise sur les recettes des quatre saisons

Situé en moyenne montagne dans le massif de Taillefer, ce village de l’Isère est contraint de se diversifier pour attirer les touristes, même en l’absence de neige.
par François Carrel, Envoyé spécial à La Morte (Isère)
publié le 15 février 2015 à 19h26

A l'Alpe-du-Grand Serre, petite station de moyenne altitude (de 1 350 à 2 180 mètres) du massif du Taillefer, le demi-mètre de neige tombé fin janvier a été accueilli avec un immense soulagement. Totalement pelé jusqu'au 27 décembre, le domaine skiable n'avait été ouvert - partiellement - que pour la semaine du jour de l'an, grâce à une chute de neige salvatrice mais insuffisante. Tout le mois de janvier, la station a tourné au ralenti, avec seulement deux pistes, enneigées grâce à 27 canons à neige. Et, en dépit de l'arrivée massive des clients cette semaine, les acteurs économiques locaux restent très prudents : «Les journées perdues ne se rattrapent pas. La situation est tendue, je suis à -50% de chiffre d'affaires sur décembre-janvier par rapport à une année normale, explique Vincent Yann, patron du bar-restaurant-tabac La Bergerie, une des neuf tables de la station. Je n'ai maintenu pendant cette période que deux salariés sur cinq. Les autres ont dû trouver autre chose.»

«Dos rond». Même alerte à l'Ecole du ski français, qui regroupe 23 moniteurs permanents, soit cinq fois plus qu'il y a vingt ans. «Sur les vacances de Noël, nous sommes à -40% de revenus pour les moniteurs. On a juste sauvé les meubles grâce à la seconde semaine», précise Jérôme Duclos, le vice-président. En janvier, il a pu faire travailler 15 à 18 de ses moniteurs en semaine grâce aux scolaires, mais les mercredis et les week-ends, «les touristes ne sont pas venus.» Heureusement, la totalité des disponibilités des 22 permanents, rejoints par une quinzaine de «renforts», a été réservée pour février. Mais il faudrait ouvrir «trois week-ends en avril pour rattraper le manque à gagner de décembre et janvier»,prévoit Jérôme Duclos.

La station est gérée depuis cet automne en régie par le syndicat intercommunal, où la commune de La Morte est ultra-majoritaire. L’entreprise qui exploitait le domaine depuis treize ans, la Sata, en charge de la grande station voisine de l’Alpe-d’Huez, a jeté l’éponge : elle affichait pour l’Alpe-du-Grand Serre des pertes annuelles de 200 000 à 300 000 euros…

Pour la nouvelle municipalité de La Morte, élue l'an dernier, le mauvais début d'hiver tombe donc mal : «La Sata faisait un chiffre d'affaires de 1,3 million d'euros par an en moyenne, nous serons en dessous cette année», reconnaît Daniel Planes, adjoint aux finances et directeur de la régie. «Ce qui est perdu est perdu, mais nous sommes confiants pour février, qui a très bien démarré. On fait le dos rond», résume le nouveau maire de La Morte, Raymond Maslo, 35 ans.

Les élus parient sur la réduction des frais de structure, très lourds du temps de la Sata, et ont frappé un grand coup en divisant l’abonnement pour la saison par deux, qui passe de 330 euros à 159 euros. La clientèle locale, souvent hérissée par les tarifs des stations, a répondu présente : 2 700 forfaits ont été vendus, soit quatre fois plus que l’an dernier. Cet afflux de trésorerie, couplé aux économies dans le coût du personnel, dont une bonne partie des salaires a été assurée par l’Etat pendant la période de chômage technique, permet à la régie d’afficher un résultat à peine déficitaire pour l’heure.

La mairie sait pourtant que l'ancien modèle n'est plus viable. «Il est utopique de penser qu'on peut faire vivre notre station sur l'hiver seul… d'autant que le réchauffement climatique fait partie des données, martèle Jean-Marie Salvetti, nouveau président de l'office de tourisme. Nous sommes en train de faire une révolution, en transformant le mode de gestion. La commune vit parce qu'il y a une station de tourisme sur les quatre saisons, forte de son caractère vert, de l'absence d'immeubles et de ses activités hors neige : vélo, rando, via ferrata, trail…»

Le plan d'action de la mairie tient en quatre axes. Un, attirer la clientèle locale avec une communication et un slogan : «les producteurs de #skilocal».Deux, abandonner le projet en souffrance d'une résidence géante de 2 500 lits sur la station au profit de plus petites opérations, comme la construction de 300 lits et la rénovation d'autant dans des structures vieillissantes. Trois, créer un nouveau cœur de station, une «plaine des jeux» dotée de parkings, d'un bâtiment d'accueil et d'équipements toutes saisons, d'une cascade de glace artificielle, d'une piste de luge enneigée artificiellement, d'un mur d'escalade… Ce projet, budgété à 1,2 million d'euros hors taxes, sera lancé dès cet été avec le soutien de la région Rhône-Alpes et du département de l'Isère. Enfin, la mairie projette de relier le front de neige au nouveau cœur de la ville via un chemin piétonnier et renforcé en neige de culture, permettant aux vacanciers d'être le plus possible «au pied des pistes».

Défi. En attendant la neige cet hiver, les locaux ont fait le maximum pour occuper les touristes sur une station totalement déplumée mais occupée aux deux tiers : ouverture des via ferrata, d'une remontée pour la rando, patinoire synthétique, calèche, trail… «Nous sommes prêts à dire : "Venez ici, même sans neige, vous serez bien !"» lance le maire de La Morte. Si nombre de commerçants, moniteurs et saisonniers n'y croient pas, beaucoup d'acteurs sont prêts à relever le défi d'une station accueillante toute l'année, à l'image de Nathalie Payot, musheuse arrivée cet hiver avec son compagnon et leurs 42 chiens : «Bien sûr, nous n'avons pas fait le chiffre espéré mais nous avons bien travaillé en cani-rando sur sentier et nous avons créé de l'animation. Nous allons développer l'attelage sur terre. Nous croyons au credo "quatre saisons" des responsables de la station et à leur énergie. C'est tellement beau ici : il n'est pas question de lâcher le morceau !»