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Libération
Décryptage

Des négociations à bout de souffle

L’échec des discussions sur la réforme du dialogue social est le signe d’une méthode peut-être dépassée.
publié le 19 février 2015 à 19h36

«Nous étions à deux doigts de signer», jure un proche du Medef pour qui la négociation était allée «très loin». Pas assez, en tout cas, pour se mettre d'accord sur la réforme du dialogue social sur laquelle patrons et syndicats de salariés se sont cassés les dents pendant près de quatre mois. Avant de jeter l'éponge, fin janvier, tant les divergences étaient fortes. Principal «point dur» ayant fait capoter la négo : la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP), et notamment du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), en une stucture unique. Mais son fiasco est aussi la preuve de l'essouflement d'une certaine forme de dialogue social.

Un calendrier serré

Si l'échec est «avant tout un problème de fond», selon Annette Jobert, spécialiste de la négociation collective au CNRS, il est également dû à un manque de préparation. «Trois mois et demi sur un sujet aussi large, ce n'est pas assez», note la chercheuse. «Il faut du temps quand on touche à des symboles aussi forts», ajoute Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail. Même constat de Joseph Thouvenel, négociateur de la CFTC, pour qui le texte n'a «pas été assez travaillé en amont». Pourtant, au ministère du Travail, on rappelle qu'entre 2009 et 2012, pas moins de 29 réunions ont été organisées sur le sujet.

Des patrons incapables de se mettre d’accord

Puisant d'habitude leur force dans l'union, les trois organisations patronales n'ont, cette fois-ci, pas réussi à dépasser leurs contradictions. A commencer par le Medef et la CGPME, irréconciliables sur la représentation des très petites entreprises. Quant au Medef, «il s'est montré incapable de gérer ses divisions internes», attaque Thouvenel de la CFTC. Ce que dénonce aussi Marylise Léon, chef de file de la CFDT : «Le Medef était divisé entre ceux qui croient au dialogue social et les non-convaincus. Malheureusement, les seconds ont gagné.» Pour Agnès Le Bot, de la CGT, c'est l'aile idéologique du Medef, celle qui «réduit le dialogue social à un coût», qui l'a emporté.

Un patronat sous pression politique

Dans l’entourage du ministre Rebsamen, on assure pourtant que Pierre Gattaz, président du Medef, avait donné son assurance : il était prêt à signer le texte. Quitte à décevoir le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui, selon nos informations, aurait essayé, lors d’un déjeuner, de le convaindre de faire capoter l’affaire. Mais la branche service de l’organisation patronale proche de l’UMP - Geoffroy Roux de Bézieux, numéro 2 du Medef, et Henri de Castries, PDG du groupe Axa, en tête - aurait fini de convaincre le Medef de stopper les négociations.

Une méthodologie en fin de course

Egalement divisés sur le fond, les syndicats de salariés étaient au moins d'accord sur un point : cette négociation est l'une des pires qu'ils aient jamais connues. D'où l'urgence de faire évoluer les conditions du dialogue. «Aujourd'hui, elles ne sont pas loyales, elles sont détournées par le patronat», estime Agnès Le Bot, de la CGT. Le sujet devrait être abordé le 23 février, lors d'une réunion des partenaires sociaux au siège du Medef. Peut-être la dernière en ces lieux. Car les syndicats réclament désormais que les négos se déroulent dans un lieu et sous une présidence neutres. Pierre Gattaz s'est dit prêt à en «discuter». Mais pour Marie-Alice Medeuf-Andrieu, négociatrice de FO, ce sont surtout les «bilatérales, toute la nuit» qui ont fait déborder la marmite. Dans son viseur : le Medef et la CFDT, dont les discussions se sont éternisées alors que les autres partenaires attendaient en réunion plénière. Pour changer la donne, les syndicats réclament aussi la fin du monopole patronal, jusqu'alors seul «autorisé» à présenter un texte, selon la tradition en place. Tout en restant lucides sur leur aptitude à présenter un projet commun. «Le manque de capacité des syndicats à élaborer une proposition est flagrant», tacle Annette Jobert.

Des postures qui débordent le cadre de la négociation

Pris en étau «entre la partie patronale qui n'a pas le sens du dialogue social et ceux qui prônent l'affrontement», le dialogue social est dans une impasse, selon Thouvenel (CFTC). La faute à des «jeux d'acteurs», selon Bernard Vivier. Ou de «postures», dixit Rebsamen qui a rappelé les organisations patronales à l'ordre, fin janvier, avant de reprendre le dossier en mains. «Les positions sont de plus en plus plus électoralistes», relève de son côté Carole Couvert, la présidente de la CGC. A compter de 2017, la représentativité des organisations patronales sera en effet fondée, pour la première fois en France, sur le nombre d'adhérents. De quoi relancer la surenchère entre CGPME, Medef et UPA.