Menu
Libération
Interview

Panagiotis Nikoloudis «Même les plus puissants doivent rendre des comptes»

La Grèce à gauche toutedossier
Le ministre grec de la Lutte contre la corruption, Panagiotis Nikoloudis, veut s’attaquer aussi bien aux pratiques de l’élite qu’à celles des classes populaires :
par Pavlos Kapantais, Correspondance à Athènes
publié le 5 mars 2015 à 20h36

L’incorruptible a été promu. Ancien haut magistrat chargé de la délinquance financière, Panagiotis Nikoloudis, 65 ans, a passé sa carrière à batailler contre le blanchiment d’argent et la contrebande. Il est devenu le premier membre du gouvernement en charge de la lutte contre la corruption. Atout maître du Premier ministre, Aléxis Tsípras, le gouvernement grec compte sur son expérience pour remplir les caisses de l’Etat et financer les mesures de relance promises, à commencer par ce premier projet de loi contre la «crise humanitaire».

Votre gouvernement fait de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale son cheval de bataille pour récupérer des fonds qui manquent cruellement à l’Etat. Est-ce réaliste ?

Les déclarations d’intention des gouvernants grecs qui annoncent la fin de la corruption et de la fraude fiscale, j’en entends depuis 1974 et la chute du régime des colonels. Cela ne signifie pas grand-chose, croyez-moi. La différence aujourd’hui, c’est que pour la première fois, je pense que la volonté politique de s’y attaquer est réelle. Sur un plan technique, il faut bien comprendre que nous n’avons jamais eu dans ce pays des mécanismes de contrôle fiscal et de récolte de l’impôt. Et la populationle sait…

Vous avez mis en place, à partir de 2010, un système de contrôle, quand vous présidiez l’autorité indépendante de lutte contre le blanchiment. Cela a-t-il fonctionné ?

Le mécanisme que j’ai mis en place pour lutter contre la fraude fiscale est très simple. J’ai demandé à toutes les banques du pays de m’envoyer la liste de leurs titulaires de comptes qui détiennent plus de 200 000 euros. On a ensuite vérifié si ces particuliers ont d’autres comptes à leur nom en Grèce, ainsi que tous les virements vers l’étranger à partir de leurs comptes depuis 2011. Puis on a comparé ces données à leurs déclarations d’impôts. C’est comme ça qu’on a pu identifier 3 500 comptes qui contiennent des revenus jamais déclarés. Il y a ainsi près de 7 milliards d’euros d’impôts à récupérer, dont 2,5 milliards devraient rentrer dans les caisses d’ici à cet été. Et ces sommes ne concernent que les dossiers déjà clos : on doit enquêter sur plus de 24 000 comptes suspects… C’est le résultat d’une méthode très simple mais qui n’avait jamais été utilisée auparavant.

Au-delà de la fraude fiscale, il y a aussi la corruption. Comment compter vous y prendre pour lutter contre cet autre fléau national grec ?

Il existe deux types de corruption dans ce pays : la petite, celle du quotidien, et la corruption de haut vol. La première, ce sont les fakelakia [petites enveloppes contenant de l'argent, ndlr], que l'on donne pour être soigné, afin de réussir son permis de conduire quelle que soit votre conduite pendant l'examen ou pour bénéficier d'un service plus rapide lorsqu'on s'adresse à l'administration. A l'autre extrémité de l'échelle, la corruption de haut niveau concerne l'élite économique, le pouvoir politique et le pouvoir médiatique. C'est à l'interface de ces trois centres de pouvoir que se situe l'origine la grande corruption en Grèce. L'élite économique - armateurs, entrepreneurs en travaux publics ou de tous secteurs - n'est pas seulement proche du pouvoir médiatique, elle le contrôle. Tout oligarque en Grèce a son, ou ses média(s).

Autre zone d’ombre impliquant les mêmes acteurs : le financement des partis…

Ma priorité, c'est de m'attaquer à cette corruption-là. Depuis plusieurs décennies, on a cultivé, consciemment ou inconsciemment, une culture corrosive qui justifie et relativise tout type de corruption, petite ou grande, car «tout le monde touche des billets». C'est la raison pour laquelle il est très important de s'attaquer aux pratiques des élites : afin de changer cette perception d'une impunité généralisée et la culture qui va avec. Les gens verront que même les plus puissants doivent rendre des comptes à la justice et cela aura un effet très bénéfique sur la petite corruption, celle de monsieur Tout-le-Monde.

Vous voulez vous attaquer à la «classe dominante» ?

Mon ennemi n’est pas la «classe dominante», mais tous ceux qui, à la tête du pays, perpétuent des pratiques illégales. Dire que j’attaque l’élite ou le prolétariat n’a pas de sens, c’est faire de la politique et ce n’est pas la conception que je me fais de mon rôle. Ma tâche, c’est de mettre fin à la corruption. Si deux entrepreneurs millionnaires, l’un honnête, l’autre corrompu, se battent pour décrocher un contrat public, mon rôle est de protéger le premier et de faire en sorte que ce ne soit pas celui qui va proposer un pot-de-vin qui l’emporte. Que les choses soient bien claires : ceux qui ne sont pas dans l’illégalité ne sont pas des cibles, quelle que soit leur richesse. Je veux simplement promouvoir et protéger l’intérêt général.

Que pensez-vous pouvoir réellement accomplir avec ces nouvelles attributions ?

Si on me laisse faire mon travail et que je continue de bénéficier du soutien politique du Premier ministre, Aléxis Tsípras, qui s’est fortement engagé sur ce sujet, la Grèce sera très différente à la fin de mon mandat de ce qu’elle est aujourd’hui. Pas parfaite, mais très différente.