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Libération
Enquête

Xiaomi, croqueur d’iPhone

Le chinois, troisième fabricant mondial de smartphones présent uniquement en Asie, vise désormais les marchés occidentaux. Un succès fortement inspiré des produits et méthodes d’Apple.
Des employés et fans de Xiaomi lors de la présentation du smartphone Mi Note, le 15 janvier à Pékin. (Photo Jason Lee. Reuters)
par Charles Vally, De notre correspondant en Chine
publié le 6 mars 2015 à 19h06

C’est le nouveau dragon de la planète mobile. Ses téléphones ne sont pas encore vendus en Europe et aux Etats-Unis, mais ils s’arrachent en Chine et dans le reste de l’Asie. Et on ne parlait que de lui dans les allées du Mobile World Congress qui se tenait cette semaine à Barcelone. Normal : fondé en juin 2010, le fabricant chinois Xiaomi est devenu en moins de cinq ans le troisième mondial, derrière Samsung et Apple, avec 61,1 millions d’appareils vendus en 2014, contre 7,2 millions en 2012. Son chiffre d’affaires a doublé en un an, atteignant 12 milliards de dollars (11 milliards d’euros). L’entreprise, basée à Pékin, est passée de 14 associés à 5 000 employés en trois ans. Dans le même laps de temps, son fondateur, Lei Jun, devenu multimilliardaire, est entré dans le top 10 des Chinois les plus riches.

Xiaomi doit cette ascension fulgurante à son incroyable percée sur le grand marché chinois : la marque y est désormais numéro 1 du smartphone, devant le coréen Samsung et ses concurrents locaux (Huawei, ZTE…), avec une part de marché de 12,5% en 2014, contre 5,3% en 2013, selon l'institut de recherche IDC. En 2015, les consommateurs chinois devraient acheter 500 millions de smartphones, soit trois fois le marché américain. Xiaomi entend en écouler 100 millions, et ne compte pas en rester là : «Dans les cinq à dix prochaines années, nous serons numéro 1 mondial», a récemment déclaré Lei Jun.

Chemise bleue. La recette de Xiaomi est simple : un design très soigné et une ressemblance troublante avec l'iPhone, en version low-cost - un peu plus d'un tiers du prix des iPhone. L'entreprise réduit également les coûts de distribution en canalisant les ventes sur son site internet, mi.com. La référence à la marque à la pomme est pleinement assumée. Lors de la présentation du dernier modèle Mi Note, concurrent direct de l'iPhone 6 Plus, Lei Jun déclarait : «Mi Note est plus court, plus fin et plus léger que l'iPhone 6.» Le patron de Xiaomi portait cette fois une chemise bleue, contrairement à ses apparitions précédentes dans la tenue noire préférée de Steve Jobs. «Cette stratégie consistant à défier Apple en s'y référant sans relâche, comme le fait Lei Jun, est brillante, remarque Bill Bishop, auteur du blog Sinocism. La presse technologique mord à l'hameçon et titre régulièrement sur les défis lancés à Apple, alors que les deux entreprises ne s'adressent assurément pas à la même clientèle.» Xiaomi vise les jeunes branchés. La marque est surreprésentée à raison de 22% dans la tranche d'âge des 25-35 ans, et de 21% chez les 18-24 ans. Elle est, en revanche, sous-représentée, à raison de 21%, chez les 35-54 ans, selon une étude du cabinet Flurry. Pour occuper en permanence le devant de la scène, Xiaomi s'appuie sur tout un réseau de fans. Mi-décembre, le patron du concurrent Meizu, Li Nan, comparait leur dévotion à un mouvement religieux. «Ils sont très organisés, ils aiment Xiaomi, c'est une forme d'idolâtrie», déclarait-il au New York Times.

Mascotte. Mais les ambitions de Xiaomi ne s'arrêtent pas au smartphone. «Ce n'est que quand il commence à utiliser l'appareil que le client commence à produire de la valeur», assure Lin Bin, cofondateur de Xiaomi et ancien cadre chez Google. L'entreprise développe en effet tout un «écosystème» : des téléviseurs, des routeurs, des purificateurs d'air et des appareils à mesurer la pression artérielle, le tout relié à MIUI, un système d'exploitation Android adapté par Xiaomi et installé sur tous les téléphones de la marque. Avec sa mascotte très locale - un lapin coiffé d'une chapka de garde rouge arborant l'étoile de Mao -, Xiaomi a déjà relevé son premier gros défi : la conquête du public chinois. Il s'agit maintenant de partir à l'assaut du reste du monde. Mais le nouveau géant doit encore prouver qu'il peut s'imposer au-delà de la Grande Muraille.

La priorité est aux pays émergents à forte population : l’Inde, l’Indonésie, le Brésil et la Russie. Les Etats-Unis et l’Europe occidentale ne sont pas au programme pour le moment. Les soucis de propriété intellectuelle avec des smartphones «iPhone like» ne sont pas étrangers à cette décision d’éviter, pour l’heure, ces marchés. D’autant que Xiaomi s’inspire aussi d’autres fabricants occidentaux. En Inde, les opérations du chinois ont été brièvement bloquées, en décembre, en raison d’une plainte pour violation de brevet du suédois Ericsson. En 2013, Xiaomi a recruté Hugo Barra, ancien responsable du développement d’Android chez Google, afin d’accélérer son internationalisation.

Car en dépit des déclarations fracassantes de son fondateur, rien n’est encore gagné pour Xiaomi. La recette de son succès apparaît difficilement transposable en Occident. Hors de Chine, ses appareils sont de jolis smartphones bon marché, ni plus ni moins. Mais le «grand timonier» Lei Jun ne doute de rien. Et lève de l’argent à tour de bras sur les marchés. Il vient de réunir 1,1 milliard de dollars auprès des investisseurs, ce qui a porté la valorisation de son groupe à 45 milliards de dollars. De là à atteindre les 735 milliards d’Apple, c’est une longue marche qui attend Xiaomi.