«Nous l'avons dit et répété : nous allons tenir toutes nos obligations. Mais la morale ne peut pas être invoquée au cas par cas. On travaillera aussi pour que toutes les obligations non tenues envers la Grèce et le peuple grec soient elles aussi respectées. Nous le devons à tous les résistants, à toutes les victimes de la Seconde Guerre mondiale, mais surtout à l'Europe, pour que tout peuple ait droit à sa mémoire.» Très solennel, le Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, a donné mardi son feu vert au Parlement pour qu'il réactive la commission chargée d'étudier le paiement par l'Allemagne de ses dettes, contractées auprès de la Grèce durant la Seconde Guerre mondiale.
Diversion. La demande grecque comprend en réalité trois volets bien distincts : les réparations de guerre proprement dites, déjà réglées selon l'Allemagne par les accords de Londres et de 1953 et de Moscou en 1990 ; le remboursement du prêt forcé, «consenti» par l'Etat grec au IIIe Reich pendant l'occupation, dont aucune mention n'est faite dans les accords précédemment cités et qui, par conséquent, apparaît plus simple à récupérer par voie légale, si telle est la volonté du gouvernement. Enfin, les dédommagements des familles des victimes du massacre emblématique de Distomo, l'Oradour-sur-Glane grec, où 218 civils furent massacrés par les troupes allemandes en réponse à une attaque de la résistance. Sur les deux premiers volets, les estimations avancées varient entre quelques dizaines de milliards d'euros et 1 000 milliards, selon la méthode de calcul. Mais c'est le massacre de Distomo qui risque le plus d'envenimer le contentieux entre la Grèce et l'Allemagne : les familles des victimes peuvent ici s'appuyer sur une décision de justice, validée par l'Aréopage, la cour suprême grecque, qui leur accorde 28 millions d'euros de dommages et intérêts.
Le ministre de la Justice a laissé entendre qu'il était «prêt» à faire appliquer cette décision, sous les applaudissements nourris des députés de la Vouli, le Parlement grec. Prié de dire quand il le ferait, il a simplement répondu : «Quand le temps politique sera venu.» Une situation qui rappelle celle de 2000, lorsque les socialistes du Pasok au pouvoir avaient autorisé la saisie de biens immobiliers propriété de l'Etat allemand. Le ministre de la Justice avait annulé sa décision quelques jours plus tard, après que Berlin eût accordé son soutien à une accession de la Grèce à l'euro. Là où les Allemands voient dans cette nouvelle offensive sur le front des réparations de guerre une manœuvre de diversion, le gouvernement Syriza cherche avant tout à replacer le cadre des discussions autour de la dette grecque dans un autre contexte. En se targuant d'une supériorité morale par rapport à l'Allemagne, dont le discours moralisateur passe très mal en Grèce. La carte jouée par Aléxis Tsípras est une nouvelle fois celle de l'union nationale. Dans un pays où 78% de la population a une image négative de l'Allemagne et où chaque nouvelle déclaration du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, soude le pays contre les «diktats allemands», le calcul est simple : toute action contre l'Allemagne aura le soutien de la population.
Fronde. Les partis de l'opposition ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : des staliniens du KKE aux néonazis d'Aube dorée, ils ont tous, sans exception, donné leur accord à la réactivation de la commission parlementaire sur les crimes commis en Grèce par les nazis. Pour Syriza, c'est également une occasion de ressouder le parti, en proie à des dissensions internes depuis l'accord passé avec l'Eurogroupe, le 20 février. Le meneur de cette fronde n'est autre que Manolis Glezos, 92 ans, doyen du Parlement européen et résistant emblématique contre le IIIe Reich pour avoir enlevé le drapeau nazi de l'Acropole sous l'occupation. Moins radical qu'on pourrait le croire, il a toujours déclaré que son but principal n'est pas l'argent, mais de faire en sorte que l'Allemagne reconnaisse sa responsabilité morale pour tous les crimes commis sous l'Occupation. Il a publié un livre sur la question :Même si c'était un seul Mark.
Cette question épineuse avait déjà occupé le devant de la scène en 2012, quand Syriza, alors dans l'opposition, faisait campagne sur ce thème porteur. La Grèce avait alors reçu le soutien de l'eurodéputé Daniel Cohn-Bendit. «Les Allemands, qui se disent vertueux, estiment que les Grecs ont péché et qu'ils doivent payer. Or, ceux qui ont le plus péché, ce sont tout de même les Allemands», avait déclaré le député vert européen. Aujourd'hui, après un mois et demi de négociations entre Athènes et ses partenaires, emmenés par l'Allemagne, c'est une petite phrase assassine qui fait florès depuis quelques jours sur les réseaux sociaux grecs : «Si les Allemands ne veulent pas nous dédommager pour la Seconde Guerre mondiale, ils n'ont qu'à nous verser un acompte sur les dédommagements pour la troisième.»