Une accélération de 0 à 100 km/h en 3,2 secondes et 500 km d'autonomie, 420 chevaux, le tout avec zéro émission polluante… Le bolide électrique Tesla part à conquête du Vieux Continent, alors que la rumeur de son rachat par Apple est à nouveau relancée (lire ci-contre). La start-up californienne du milliardaire Elon Musk s'est installée en France il y a dix-huit mois, pour y lancer sa fameuse berline familiale haut de gamme Tesla S. Comme dans les onze autres pays d'Europe où elle est présente, la marque a ouvert ses propres succursales en optant pour la vente directe de ses modèles, essentiellement sur Internet. Un réseau de distribution exclusif et 100% propriétaire, qui rappelle celui d'Apple. Elle a surtout déjà installé 20 stations «Supercharger» dans l'Hexagone, indispensables pour recharger ses modèles. Ce n'est qu'un début, car la mise en place d'un réseau maillant tout le territoire est la condition sine qua non au succès de cette offensive commerciale. D'autant qu'en France, les immatriculations de nouveaux modèles électriques restent insignifiantes (0,59% en 2014). On voit mal les acheteurs, même blindés, débourser 65 000 euros minimum pour tomber en panne de jus sur l'autoroute ou une départementale.
Millionnaires. «Nous nous développons avec un modèle autant axé sur le véhicule que sur ses stations de recharge, dans le cadre d'un schéma d'éco-mobilité», explique Olivier Loedel, directeur de Tesla Motors pour la France. Situés en bordure des principaux axes autoroutiers, ces Superchargers offrent des bornes de recharge électriques gratuites et accessibles à tout moment. Elles permettent aux utilisateurs de Tesla de recharger leur véhicule en vingt minutes, pour faire 250 km supplémentaires. En France, les axes reliant Paris à Lille, Bordeaux, Strasbourg, Monaco et Narbonne sont en cours de couverture et s'intègrent au maillage réalisé sur le même modèle en Europe du Nord. Dans le monde, le constructeur californien totalise 400 stations, dont 135 en Europe.
La marque fétiche des millionnaires de la Silicon Valley n’a vendu que 328 voitures en France en 2014. Mais elle compte beaucoup sur son nouveau prototype, baptisé Tesla Model X, qu’elle va lancer sur le segment très prisé des SUV (un mélange de berline et de 4 × 4) de luxe. Celui-ci complétera le modèle S qui, malgré plusieurs incendies provoqués par ses batteries il y deux ans, vient de se voir décerner le prix de la voiture la plus fiable aux Etats-Unis. Mais c’est à partir de 2018 que l’entreprise compte véritablement prendre son envol, avec le lancement du Model 3 : une petite Tesla toujours 100% électrique, qui va s’attaquer aux modèles premium du cœur de gamme des allemands Audi, BMW et Mercedes. Vendue autour de 30 000 euros «seulement» - la démocratisation de l’électrique selon la marque - cette «baby Tesla» sera produite entre 100 000 et 150 000 exemplaires et assemblée dans l’usine hollandaise de Tilburg, à proximité de Rotterdam. Le constructeur prévoit de doubler sa taille dans les prochains mois et d’ouvrir un autre site avant la fin de l’année, pour assembler les pièces importées de son usine américaine de Fremont, en Californie.
En attendant une hypothétique percée européenne, la marque poursuit son implantation internationale. Comme l'explique Olivier Loedel, «Tesla Motors vient de s'implanter en Chine, au Japon et en Australie. En Europe, elle a augmenté durant l'année 2014 ses points de représentation en propre de 40%».
Par petites touches et malgré un faible volume de ventes (35 000 l'an passé), la marque entend ouvrir la voie à une mobilité 100% électrique. «Ce ne sont pas les fabricants de bougies qui ont inventé l'ampoule», explique-t-on chez le constructeur. Pure player des voitures électriques et première marque de l'ère du numérique, elle s'efforce d'éviter toute comparaison avec l'industrie automobile traditionnelle.
L’an passé, la société n’a livré que 31 655 clients et enregistré sur le dernier trimestre une perte de 107,6 millions de dollars (environ 100 millions d’euros), contre seulement 16,3 millions un an plus tôt. Qu’à cela ne tienne : Elon Musk prévoit de doubler cette année son chiffre d’affaires à six milliards de dollars et vise la rentabilité à l’horizon 2020. Au moins aussi mégalo que visionnaire, son patron n’exclut pas d’obtenir en 2025 une capitalisation boursière de 700 milliards - le niveau record que vient d’atteindre Apple - alors que son cours de Bourse perd du terrain au fil de la chute du baril de pétrole. Pour l’heure, la société dispose tout de même de 24,3 milliards de capitalisation boursière et annonce un objectif de ventes de 55 000 véhicules en 2015, une hausse de 67%.
Capsules. Il faut dire que le patron de Tesla sait rebondir. Après avoir fait fortune grâce à Paypal, le service de paiement en ligne dont il est l'un des fondateurs, Elon Musk a lancé en 2002 SpaceX, une société spécialisée dans le vol spatial et le lancement de satellites ; la Nasa lui a confié le transport de fret vers la station spatiale internationale. Deux autres de ses projets sont en cours : l'un, Hyperloop, entend faire voyager des gens à bord de capsules dans un tunnel sous vide à plus de 1 000 km/h. De quoi relier Los Angeles à San Francisco en une demi-heure. L'autre a pour objectif de coloniser la «voiture autonome» en téléchargement. Tesla travaillerait enfin au lancement d'une batterie grand public, pour fournir de l'énergie dans les foyers.
En attendant, l'entreprise joue à fond la carte de la voiture numérique : son immense écran de 17 centimètres sur le tableau de bord donne l'impression d'être aux commandes de son propre smartphone. Et la marque vient de faire un pas vers la voiture autonome. Le système «Autopilot», qui équipe la Tesla S, cumule les outils de régulateur de vitesse adaptatif - en fonction des panneaux routiers lus sur le côté de la route, d'avertisseur de franchissement de ligne blanche et de réduction de distance de sécurité. «Elles sont chargées gratuitement lors de la mise à jour du système qui équipe les véhicules, explique Olivier Loedel. C'est une façon d'enrichir les fonctionnalités à bord et de lutter contre l'obsolescence programmée.» Imitant Toyota, Tesla garantit depuis quelques jours ses véhicules à la revente en France, à hauteur de 50%, avec trente-six mois pour le modèle S.
Une arrivée éventuelle sur le marché de son puissant voisin Apple ne lui fait pas peur. «Nous ne pouvons que saluer les initiatives venant d'autres acteurs, conclut Olivier Loedel. La meilleure preuve en est qu'Elon Musk a récemment ouvert l'accès aux brevets développés par Tesla afin d'accélérer la transition vers le 100 % électrique.» Sauf que personne, jusqu'ici, ne s'est précipité pour les consulter.