Il se tiendra bien. Et il pourrait bien mobiliser encore plus de monde que prévu, porté par «le vent de solidarité» consécutif à l'attentat du musée du Bardo, espère un militant. Autour de 70 000 participants de plus de 130 pays sont attendus pour le Forum social mondial (FSM), qui débute ce mardi à Tunis.
«Plus que jamais, la large participation sera la réponse de toutes les forces de paix et de démocratie qui militent au sein du mouvement altermondialiste pour un monde de justice, de liberté et de coexistence pacifique», veut croire Abderrahmane Hedhili, coordinateur du forum.
Pas question, rappelle un sociologue, de céder «au choc des civilisations», à la culture liberticide du Patriot Act. Il faut au contraire, dit-il, coller aux mots du Premier ministre norvégien après le massacre sur l'île d'Utoya en juillet 2011 : «Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur : "Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, d'ouverture et de tolérance."» Mais, espère un participant marocain, «l'aveuglement de fondamentalistes ne parasitera pas les débats» qui, comme toujours, vont brasser très large.
«Il y a un désir très fort de parler migrations, 3 000 jeunes Tunisiens sont déjà morts en tentant de rallier Lampedusa», assure un habitué. «De dénoncer des dettes injustes qui clouent les pays comme la Grèce ou la Tunisie», ajoute un Canadien. Et face aux politiques d'austérité, dit John, qui a participé la semaine dernière à Blockupy, le blocage de l'inauguration du siège de la Banque centrale européenne à Francfort, de s'attaquer au «système» : «S'ils veulent le capitalisme sans la démocratie, nous voulons la démocratie sans le capitalisme.»
Microplanètes. Un Forum social mondial, c'est une sorte de petit soleil alternatif autour duquel gravitent autant de microplanètes qui tentent de prospérer. C'est ainsi que ce lundi s'est retrouvée la coalition Climat 21 pour discuter stratégie et tactique avant la conférence de Paris, en décembre. Plus de 100 têtes de réseaux, d'organisations, d'associations et de mouvements sociaux se sont donné rendez-vous «pour tirer les leçons des échecs du passé», rappelle l'Indienne Payal Parekh, de la plateforme 350.org. Et davantage «s'enraciner sur ce qui se passe sur les terrains des luttes et les alternatives proposées» plutôt que de trop «multiplier les slogans».
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«Le Forum social demeure une opportunité unique pour les mouvements sociaux, les communautés locales, les réseaux transnationaux de monter des campagnes pour un autre monde, résume Pascoe Sabioo, du think tank Corporate Europe Observatory. Les négociations climatiques et les négociations commerciales montrent bien, par exemple, à quel point elles manquent de transparence, d'inclusion des peuples.» Et comment elles illustrent, selon lui, «la collusion entre la plupart des gouvernements et des grandes entreprises».
Mais, pour en finir avec «l'impunité» et favoriser «un réveil radical», estime une activiste américaine, «il faut qu'on se batte pour construire des mouvements sociaux encore plus forts». Car les alters s'interrogent aussi sur la façon dont ils ont pu infléchir la marche du monde jusqu'à présent. «Je ne verse pas dans le cynisme ou le pessimisme, on a déjà réussi à maintenir des réseaux, monter des campagnes, prolonger des solidarités, avoir des avancées sur la transition écologique, l'urgence de justice climatique», estime l'Australienne Nicola Bullard, qui a suivi tous les forums depuis 2001, à Porto Alegre.
«Révolutions». Candido Grzybowski, de l'Institut brésilien d'analyses sociales et économiques, et l'un des cofondateurs du Forum social mondial, est, lui, plus réservé : «Le monde n'a pas tant bougé. Il faut que l'on laboure mieux nos thématiques, que l'on retrouve des capacités d'action que la crise a mises sous l'éteignoir.» Et de conclure : «C'est aux peuples d'écrire les nouveaux chapitres de leur histoire. Ce sont eux qui poussent les gouvernements à agir, à faire de vraies révolutions. Pas l'inverse.»