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Libération
Interview

«Aujourd’hui, c’est l’euphorie ; demain, ce sera la panique»

André Orléan est spécialiste des questions monétaires :
(EuroCrisisExplained .co.uk / Flickr)
publié le 24 mars 2015 à 19h16

André Orléan est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Des places financières qui s’envolent mais des économies atones… Pourquoi cette déconnexion ?

C’est tout le drame de la finance. Dans n’importe quel marché, la hausse des prix tend à faire baisser la demande et à augmenter l’offre. Ce mécanisme fonctionne comme une force de rappel qui restaure l’équilibre initial. Ce n’est pas le cas sur les marchés financiers. Aucune force de rappel ne vient faire obstacle à la dérive du prix des actifs financiers. Pire, c’est même exactement le contraire. Lorsque la Bourse augmente, elle déclenche fréquemment un sentiment d’euphorie qui produit de nouveaux achats, qui conduisent à de nouvelles hausses du prix des actions, qui renforcent encore l’euphorie. C’est ainsi que se forment les bulles spéculatives. Ces mouvements de hausse, comme de baisse, s’appuient sur des logiques d’opinions et non sur des fondamentaux économiques. Aujourd’hui, c’est l’emballement euphorique. Demain, ce sera la panique.

Comment en est-on arrivé là ?

La dynamique haussière qui s’est mise en place sur les marchés financiers a pour origine principale la politique monétaire des banques centrales. Alors qu’on attend d’elle qu’elle conduise à une amélioration de la situation de l’emploi en Europe, cette politique de baisse des taux et de liquidités monétaires déversées en abondance par la BCE ne fait que financer le mouvement haussier des marchés financiers. Son effet sur l’emploi est insuffisant. Aussi faut-il changer de politique. Mais ceci suppose de mettre un terme à cette volonté des Etats européens de ne pas assumer le pilotage de nouvelles politiques industrielles. De ce point de vue, la transition énergétique est un enjeu majeur de la transformation européenne.

N’a-t-on rien appris des crises du passé ?

En 2008-2009, la crise des subprimes aux Etats-Unis a dégénéré en une crise planétaire d’une intensité inédite depuis le début des années 30. Partout, on a vu les pouvoirs publics intervenir massivement sur une échelle encore inconnue dans le but d’éviter un effondrement des structures du capitalisme financier. Si ces structures ont été préservées, c’est grâce aux protections apportées de toute urgence par les Etats. Certes, il y a eu des tentatives modestes de réguler la finance. Les banques doivent désormais respecter de nouveaux critères, notamment en ce qui concerne le niveau de leurs fonds propres. De même, elles sont soumises à des stress tests qui permettent de mieux évaluer leur fragilité financière. Mais, sur le fond, rien n’a changé. Nous demeurons dans le paradigme de la finance dominatrice. Il n’y qu’à voir la tentative avortée de séparation entre les banques d’affaires et les banques commerciales. Nous n’avons pas encore pris la mesure des impasses de la financiarisation excessive. Par exemple, nous n’avons toujours pas mesuré à quel point il était dangereux de laisser aux seuls marchés la fixation des taux de change.