La journée de mardi promettait encore d'être à haut risque pour Mathieu Gallet, jeune président nommé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à Radio France il y a un an. Une grève sur le feu depuis jeudi dernier, un comité central d'entreprise (CCE) extraordinaire face à des élus qui avaient fourbi un long chapelet de questions et, en prime, la sortie en kiosques de ce maudit Canard, qui aime à distiller ses infos. Le volatile a révélé mercredi dernier que la rénovation du bureau du PDG de 38 ans avait coûté 100 000 euros, au moment où il n'est question que d'économies à la Maison ronde. Il s'est excusé lundi pour n'avoir pas gelé la dépense.
«Travaux». Scène 1. 9h30. Au premier étage côté Seine, la direction de Radio France, flanquée des directeurs de chaînes, et les élus prennent place autour de la table. La direction embraye. Deux chiffres ont le temps de filtrer sur le fil Twitter #ccefr. «Pour la 1ère fois la direction annonce officiellement qu'elle travaille sur un plan de départs volontaires (300 salariés). C'est NON !» tweete la CGT. Puis : «La direction de #RadioFrance veut économiser de 17 à 24 millions d'euros sur la masse salariale d'ici 2019 ! NON !» Puis plus de son. La direction «nous demande instamment d'arrêter de communiquer vers l'extérieur», clôt le SNJ. En clair, le plan de départs volontaires dans les tuyaux concernerait entre 200 à 300 seniors pour économiser 17 à 24 millions d'euros sur la masse salariale d'ici à 2019.
Scène 2. 13 heures. Dans le studio 105, un peu à l'étroit, on se presse dans les coins et sur les passerelles. Comme tous les jours depuis jeudi, les salariés de Radio France se retrouvent en assemblée générale pour se prononcer sur le préavis de grève reconductible initié par la CGT, SUD, FO, CFDT et l'Unsa. Une voix s'élève pour reprocher aux journalistes de ne pas être à fond dans le mouvement, de faire du corporatisme dans une maison avec plus d'une trentaine de métiers. Au point qu'une assemblée de journalistes devrait se tenir dans les jours à venir. «Cela fait onze ans qu'on supporte ces travaux, ça nous coûte un maximum de blé et, en plus, on va nous bouffer nos emplois», commente un participant. Pour la première fois de son histoire, Radio France est lourdement déficitaire, pris en ciseaux entre une baisse de la dotation de l'Etat et un budget 2015 prévisionnel de 21,3 millions d'euros. La reconduction de la grève est votée jusqu'au mercredi. Sept jours : le plus long mouvement depuis 2004.
«Bobards». Scène 3. 17 heures. Le Canard frétille depuis le début d'après-midi promettant, via Twitter, de révéler les «bobards» de Gallet. Du bec tout chaud tombe sur Internet et la table du CCE un contrat d'engagement pour 90 000 euros par an, aux frais de Radio France, d'un spécialiste en communication personnelle, Denis Pingaud, et ce sans appel d'offres. Alors PDG de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), Gallet avait déjà employé Pingaud aux frais de l'INA pour 60 000 euros par an, selon le Canard. Après son départ, on dit à l'INA que tout recours à des consultants a été supprimé. «C'est sans fondement, c'est une campagne de déstabilisation», aurait commenté Gallet en CCE. «Notre problème, c'est la gouvernance de cette maison, son manque de vision stratégique, estime le délégué SUD à une pause, et sa capacité de négocier avec la tutelle.» Le PDG négocie avec l'Etat un nouveau contrat d'objectifs et de moyens, qui fixe les ressources du groupe sur plusieurs années. Il est attendu pour la mi-avril, à peu près dans le même timing que la désignation par le CSA du PDG de France Télévisions…
Actualisation à 20h45 : La direction de Radio France a dénoncé catégoriquement les allégations publiées dans le Canard Enchainé. Elle affirme que les dépenses liées aux travaux du bureau de la présidence s'inscrivent dans l'enveloppe de 2,9 millions d'euros déjà prévue au budget 2014. La facture a été dépassée à cause de «la complexité de l'opération de restauration et l'intervention de plusieurs entreprises spécialisées et non d'une seule.». Concernant le contrat du spécialiste en communication, la direction affirme que son contrat a été conclu «après avis de la direction des affaires juridiques en remplacement de deux contrats de conseil de la précédente présidence d'un montant équivalent.» Et que ce contrat sera remis en concurrence au bout d'un an.
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