L'attente était énorme et l'ambiance forcément tendue au point presse du Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA), mercredi en fin d'après-midi. Mais en arrivant sur le coup de 17heures, Rémi Jouty, son directeur, avait une «bonne nouvelle» à annoncer, au lendemain du crash de l'A320 de la compagnie allemande Germanwings dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui a entraîné la mort de 150 personnes. La première boîte noire de l'appareil, celle contenant les enregistrements audio, retrouvée mardi et rapatriée à Paris mercredi matin, va pouvoir être exploitée et faire avancer l'enquête.
Quelles données récupérées dans la première boîte noire ?
«Nous avons réussi à en extraire un fichier de données utilisable», a lancé Rémi Jouty. Refusant cependant d'évoquer son contenu : «Il est beaucoup trop tôt pour tirer la moindre conclusion sur ce qu'il s'est passé.» Cette prudence, le BEA l'explique par la difficulté qu'il y a à identifier les voix et à les remettre dans le contexte du vol. La transcription détaillée devrait, selon les experts, prendre «plusieurs semaines à plusieurs mois».
Pourquoi autant de temps est-il nécessaire pour analyser cette première boîte noire ?
«Parce qu'un enregistreur de conversation, ce n'est pas un téléphone», précise François Grangier, pilote de ligne et expert enquêtes-accidents agréé par la Cour de cassation. Cette boîte noire, appelée Cockpit voice recorder (CVR), enregistre ce qui se passe dans la cabine de pilotage. Or, «c'est un bruit de fond épouvantable, poursuit l'expert. Un avion, c'est très bruyant, et l'A320 est extrêmement bruyant, y compris dans le poste de pilotage. Donc quand vous écoutez un enregistreur de conversation, vous entendez un bruit de fond continu, comme un souffle. Et à l'intérieur de ce bruit-là, qui couvre absolument tout, vous entendez des voix.»
Le travail des experts du BEA, sur cette boîte noire, dépendra aussi de la manière dont les pilotes ont conversé entre eux. Avec ou sans casque. «Si les pilotes ont leur casque sur la tête et s'ils parlent dans le micro du casque, alors vous entendrez beaucoup mieux les voix des pilotes. Mais encore faut-il qu'ils utilisent le casque. Je ne sais pas si, dans ce cas, ils l'ont fait.» Les enquêteurs, qui ne connaissent pas physiquement les pilotes, devront ensuite déterminer à qui attribuer les voix, aux pilotes ou à d'autres personnes.
François Grangier se souvient avoir travaillé sur une enquête avec un pilote qui, à l'écoute de la conversation, ne savait pas si c'était lui ou son commandant de bord qui parlait : «Il m'a fallu plus d'un an pour savoir qui prononçait une phrase dans l'enregistreur de conversation.» Les analystes devront aussi travailler sur les bruits alentour, les vibrations, les changements de bruit de fond. «Tout a un intérêt, ce sont des choses importantes à analyser», poursuit le pilote de ligne.
Que sait-on de la seconde boîte noire ?
La boîte qui a enregistrée les paramètres du vol n'avait pas encore été localisée mercredi en fin d'après-midi. Mais le BEA en a fait une priorité et a bon espoir de mettre rapidement la main dessus. Ce sera le rôle des sept enquêteurs arrivés mardi sur les lieux, appuyés par plusieurs homologues allemands et espagnols. «Cet enregistreur est conçu pour résister à ce genre de crash», a assuré Rémi Jouty. Il assure que l'examen de la première boîte noire peut démarrer sans la deuxième.
La seconde boîte noire est-elle indispensable pour déterminer les causes de l’accident ?
Si elle est retrouvée mais que son contenu s'avère inexploitable, tout dépendra alors de ce qui aura été analysé grâce à l'enregistreur de voix. Et des causes qui ont conduit au crash. Dans le cas d'une bombe, exemple très théorique, l'enregistreur de paramètres indiquera que l'électricité s'est arrêtée, qu'il y a eu une perte d'hydraulique, etc. «Mais elle ne va pas vous dire que c'est une bombe, explique François Grangier. En revanche, grâce à l'enregistreur des conversations, les pilotes vont vous le dire tout de suite, parce qu'ils auront entendu la détonation. Il y a donc des cas de figures où l'enregistreur de conversation va être très intéressant, et d'autre cas ou il le sera beaucoup moins. Evidemment, quand on a les deux, c'est l'idéal.»
Quelles sont les hypothèses ?
Il fallait s'y attendre : le BEA n'écarte pas beaucoup de pistes à ce stade. Panne d'un moteur ? «Certainement pas», continue Rémi Jouty. De deux moteurs ? «Trop tôt pour le dire.» La petite taille des débris retrouvés sur le site du crash n'est néanmoins «pas caractéristique d'un avion qui aurait explosé en vol», souligne Rémi Jouty. «On n'imagine pas non plus que les pilotes aient pu consciemment envoyer l'avion contre une montagne.»